Il était une voix, un son et ce fut, la fin de ma raison.

Une explosion.

Quelle heure était-il? Quel jour? Quelle année?

Dans ma brève mémoire qui fuit toujours, ce fut l’éternité…

Deux ans déjà

Ma ville a trop changé

Moi aussi, tu sais…

Et depuis, je lis Le Dormeur du Val. Pour essayer d’embellir l’atrocité que vécut ma cité, comprendre la poésie de la mort, entre un patriote et sa terre, l’attachement. Je relis Le Revenant. Pour espérer une illusion du bonheur, une réconciliation, la tendre folie maternelle devant l’arrachement. Quelque lumière qui effacerait ces chagrins de poussière. Quel beau mensonge, la poésie…

Je n’avais pris aucune photo de la fin du monde. Je n’ai pas de preuve. Je n’ai pas voulu d’archives. Je suis la chambre noire. What happens in me stays in me.

Deux ans déjà. Grossesse interminable. Si ce que je porte est un mâle, je le nommerai August. Si c’est une femelle, ce serait Beyrouth.  Évidemment. Elle. Toujours elle, intacte dans mes entrailles. Elle me fait mal…

Mais qu’est-ce que je fais? Bavarde. Pardon.

Silence.

Depuis deux ans, une mère pleure dans un plan séquence d’un film en noir et blanc. C’est irréel. Deux. Cent. Silence. Depuis deux ans, un enfant est mort. Deux. Cent.

233 personnes ont frôlé la vie. 233 romans inachevés. La folie ordinaire du créateur… naître ou n’être, Dieu est souvent indécis devant l’azur. Bleu ou rouge. Un nostalgique. Un peu de vin mon vieux?

Deux ans à tresser la longue crinière de la peur, cet animal féroce qui rampe et ronge et pique. Je tremble sous les ponts. J’accélère. On ne taxe pas la peur. Gratis! Dans les parkings souterrains, je transpire. Sortez-moi de là. I can’t breathe.

Pendant que les silos tremblent, j’écris ces quelques mots absurdes. Depuis deux ans, la mère cherche son utérus perdu. Pendant que le feu s’étale encore, un enfant cherche le calice pour refleurir, pétale qui manque à la corolle.

Suis-je l’enfant ou la mère. Je ne sais plus. Je suis la mer. N’importe quoi. Je ne suis rien.

Deux ans que j’essaie de faire entrer le fil à coudre dans le chas de l’aiguille pour reconstruire ma vie, mais en vain, mes yeux dans leur bain salé me trahissent. ils ont trop vu. Du jamais vu.

Un pays déjà, que de dégâts.

Et les silos s’effondrent. Un à un, comme les murs incertains d’un château de cartes. Un témoin qu’on pousse au suicide. You know too much, you should die.

Rien à faire. Personne n’écoute. Ceux qui savaient s’en fichent. Pourvu que leurs noms et leurs titres restent sur les affiches.

Assassins. Criminels. Salauds.

Quand je me tais, parle mon corps.

Il rapetit mais son ombre s’allonge. Je deviens silo de blé et mon ombre ombrage le bled. La vérité est nue sous le soleil. Lumière, lève-toi!

Je ne sais pas vraiment où se localise la mémoire, dans quel organe, dans quel membre, dans lequel de mes six sens. Mes mots sont insensés, ma plume blessée, mon corps par ma tête rendu infertile pour ne pas enfanter l’oubli. Interdit.

Ce n’est pas la mort qui interrompt la vie, c’est l’oubli.

Et tout le temps qui reste, je n’oublierai pas. Jamais.

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