Il aurait été difficile de convaincre un Libanais, il y a tout juste un an, qu’il lui faudra, un jour, plus de trente mille livres pour acheter un dollar. L’incurie de l’État, face à des envolées sans précédent du taux de change du billet vert contre la livre, est troublante, à plus d’un égard.

Vendredi, la livre a continué à se diluer, malmenée par un Etat absent, dont l’Exécutif et le Législatif se renvoient la balle en termes de responsabilité. Les deux attendent Godot. La livre a atteint son plus bas niveau depuis la cessation de paiement du Liban de sa dette en devises en mars 2020. Le taux de change du dollar contre la livre a dépassé, par moments, au cours de la journée de vendredi, la barre des 35.000 LL, sur les applications du marché parallèle alors que le taux de change sur la plateforme de la Banque du Liban, Sayrafa, était de 27600 LL.

Depuis le 19 octobre 2019, un marché parallèle bien huilé a été créé par les bureaux de change, au moment où la Banque centrale fait face à des pressions monétaires, économiques et budgétaires qui ne cessent de s’amplifier.

Inefficience de Sayrafa   

La mise en place de Sayrafa et la promulgation de la circulaire 161 de la BDL auraient été suffisantes, pour que le marché de change retrouve un tant soit peu un équilibre, accordant ainsi un moment de répit à la classe politique afin qu’elle reprenne en main le contrôle de la situation et agisse en conséquence. Mais c’était sans compter le déni et la léthargie du pouvoir qui annihilent toute lueur d’espoir d’une part, et, les frontières passoires à partir desquelles les personnes comme les produits en tout genre, y compris, certes, les devises fortes, transitent sans aucun contrôle vers la Syrie, d’autre part.

La plateforme Sayrafa, à travers laquelle la BDLt ente de subventionner d’une manière limitée, le dollar utilisé pour l’importation de produits de base, se retrouve du coup, inefficiente. Le volume des importations vers le Liban triple au moment où la consommation des résidents est atone, montrant clairement que les produits subventionnés sont convoyés en Syrie.

Les personnes à revenu limité

Parallèlement, les salariés, première catégorie sociale visée pour profiter des dispositions de la 161, se retrouvent les poches vides, rattrapés par une inflation galopante. Dans les faits, les salariés sont habilités en vertu de la circulaire 161 à retirer une partie de leur salaire en dollar sur base du taux de change subventionné de Sayrafa, et les revendre au taux du marché parallèle. Les bénéfices, qu’ils dégagent de cette opération, sont censés les aider à dépasser quelque peu les effets néfastes de la crise.

Ainsi les Libanais, qui souffrent d’une insécurité totale face à l’avenir, doublée d’une exigence de la part des fournisseurs de produits et de services d’être payés en dollars frais, se ruent sur la devise forte. Résultat: la demande gonfle et la livre se déprécie encore et encore. Les taux d’équilibre dollar/LL. atteints, depuis le début de la crise, ont été précaires, ne constituant que des corrections mineures pour un rebondissement plus accentué.

Le pire est à venir

Pour ramener le marché de change à la rationalité, il n’y a qu’un pas à faire par les politiques. Ces derniers n’ont d’autre choix que d’emprunter la voie de réformes sérieuses et intelligentes et d’agir pour mettre fin à la contrebande vers la Syrie. Mais cela commande la présence d’hommes d’État ce dont le Liban manque cruellement. Pour l’instant, l’imbroglio dans lequel se trouve le pays, justifie, à lui seul, tous les comportements et toutes les peurs des Libanais.

Rien que pour sécuriser une aide immédiate de 900 millions de dollars de la Banque mondiale au secteur public de l’Énergie, il faut nommer une autorité de régulation au secteur, un commissaire au compte de EDL et une hausse des tarifs. Des démarches, qui ne sont pas hors de portée, comme le souligne un rapport de l’Institute of International Finance (IIF), mais qui requièrent une décision politique qui continue d’être bloquée à cause des intérêts politiciens.

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