Le texte du budget de l’année 2022 suscite de petites observations, car il n’en mérite pas de grandes. Même son auteur, le ministre des Finances, ne voit pas dans ce budget une percée sur le chemin de la réforme. Une réforme qu’il a promise pour la prochaine loi de Finances, celle de 2023. Sauf que ce budget ne verra pas le jour de sitôt, car son brouillon n’a même pas été discuté en Conseil des ministres. Du coup, la validité du budget 2022 s’étendra bien au-delà de cette année, pour de longs mois encore, au gré des concepteurs de la vacance au pouvoir. Cela nous donne donc l’occasion d’émettre quelques observations sur ses principales tendances:

– Les dépenses courantes dans le budget constituent 90% du total; les dépenses d’investissement ne représentent donc que 10%, ou 77 millions de dollars, soit le dixième du niveau des années normales, avant 2019. Même les projets adoptés auparavant et en cours d’exécution selon des plans pluriannuels ont eu presque zéro crédit pour 2022, et des crédits réduits pour 2023. Or les dépenses d’investissement, que l’on sacrifie ainsi, auraient pu promouvoir la croissance. Mais, encore une fois, seul le secteur privé devra jouer ce rôle de locomotive de la croissance, alors que le secteur public en est le frein.

– Les prélèvements obligatoires (impôts, taxes, tarifs des formalités…) vont substantiellement augmenter, ce qui pèsera encore plus sur le pouvoir d’achat des citoyens. Mais c’est un passage obligé si le déficit prévu de 10 trillions de LL devait être plus ou moins respecté. Cela reste valable jusqu’à ce que l’on décide d’assainir l’administration de ses nombreux éléments superflus et d’éliminer ses pratiques usuelles de dilapidation, hypothèse improbable.

– Une bonne partie de cette augmentation fiscale viendra de l’augmentation des droits de douane et de l’enregistrement des transactions immobilières, surtout lorsque le taux de change de 15.000 LL sera appliqué. Mais cette hausse fera immanquablement le bonheur des contrebandiers qui s’activent désormais au grand jour sans être inquiétés, étant partie prenante au pouvoir.

– Des taxes exceptionnelles seront imposées sur les produits importés – encore une charge supplémentaire. Mais, surtout, cette mesure est contraire aux traités de libre-échange que le Liban avait conclus avec l’Union européenne et certains pays arabes. S’il n’y a pas eu de réaction de ces partenaires jusqu’à maintenant, c’est probablement par compassion, ou par lassitude devant ce pays qui ne sait pas respecter ses engagements. Il n’empêche que ce manquement leur donne le droit d’imposer, eux aussi, des droits de douane, ce qui pourrait freiner nos exportations.

– Les fonctionnaires verront leurs salaires multipliés par trois, ce qui n’est point suffisant au regard de l’inflation, ce qui aura pour résultat direct la généralisation des pots-de-vin pour toute formalité. Mais, tout compte fait, ce serait moins nuisible que de déserter les bureaux et bloquer l’activité du secteur privé.

– Une panoplie d’exemptions fiscales généreuses sont prévues dans le texte, bénéficiant principalement aux start-up et aux investissements dans les secteurs dits productifs. Cela est donc perçu comme une bonne initiative, ce qui est loin d’être le cas. À part qu’elle est de nature à priver le Trésor de rentrées financières, une telle mesure n’aura qu’un effet très limité sur le niveau d’investissement. Soyons sérieux, même en payant potentiellement moins d’impôts, personne ne viendra investir dans un pays pourri par la corruption, dans un environnement politique et économique instable, sans services de base, à commencer par l’électricité, avec une milice qui peut provoquer des incidents (ou une guerre) à tout moment, où accomplir une simple formalité nécessite trois mois au lieu de trois jours, et où le système bancaire, nécessaire à toute activité, a été neutralisé…

Bref, la littérature que constitue ce budget est en gros un simple exercice comptable, sans vision économique, et bien sûr sans audit pour contrôler ce qui doit l’être.

[email protected]