On parle beaucoup ces derniers temps du fonds souverain comme solution à la crise financière et à ce déficit évalué à 70 milliards de dollars, surtout pour contribuer à rembourser l’argent des déposants.

Alors que beaucoup d’économistes insistent sur le fait que le fonds souverain est l’une des solutions pour faire fructifier les actifs de l’État et éviter de ponctionner l’argent des déposants qui n’ont rien fait de mal, le gouvernement insiste à éliminer cette possibilité, prétextant que ce sont des réserves pour les générations futures. Des représentants du secteur privé, qu’on ne consulte jamais, doivent avoir leur mot à dire sur ce sujet. Nous avons sondé un échantillon de ces acteurs essentiels de la vie économique.

Fouad Zmokhol

Président du Mouvement international des chefs d’entreprises libanais

L’État ne dispose pas de beaucoup d’options pour se recapitaliser. Il a besoin de fonds pour payer une partie de ses dettes et pour redémarrer la machine. Il ne lui reste que la privatisation de certains de ses actifs, par vente ou par gestion. L’idée du fonds souverain n’est pas venue par hasard, mais c’est parce qu’il n’existe pas d’autre choix. Les grandes économies sont dirigées par des grands fonds, à condition que ceux-ci soient bien gérés et audités. Il est vrai que la gestion publique des 30 dernières années n’était pas convaincante. Donc si ce sont les mêmes qui vont gérer, cela ne sera certainement pas faisable.

Nicolas Chammas

Secrétaire général des Organismes économiques et président de l’Association des commerçants de Beyrouth

Les fonds souverains ont bien réussi dans le monde. À mon avis, ils jouent plusieurs rôles, d’abord un rôle de prévoyance puisqu’il s’agit de lisser les budgets des États et assurer un fonds de prévoyance pour les générations futures. Le second rôle est un rôle d’épargne, c’est comme une grosse tirelire qui serait gérée par un bon père de famille.

Au Liban, au-delà de ces deux rôles, il y en a un qui est extrêmement important, c’est la bonne gouvernance, parce que les actifs de l’État ont toujours été mal gérés. La tendance serait que ce fonds souverain soit un acteur économique qui sache gérer d’une façon productive les actifs publics, et de rendre les entreprises publiques plus rentables, intéressant du coup les marchés financiers. Le quatrième rôle est financier. Le fonds souverain contribuera à restituer une partie de l’épargne des déposants que l’État s’échine à vouloir éliminer. Une option qui, pour nous les organismes économiques, est inadmissible. Nous tenons absolument à ce que les dépôts soient restitués à leurs propriétaires. La mise en place de ce fonds souverain est la première étape de la reconnaissance par l’État de sa responsabilité financière dans la crise que nous traversons, et c’est par ce biais que nous pourrons assurer aux épargnants une partie de leurs dépôts. Il n’y aura pas de sortie de crise sans la mise en place de ce fonds souverain en collaboration avec tous les acteurs de la vie économique.

Nassib Ghobril

Chef économiste à la Banque Byblos

La formule peut prendre la forme d’un fonds souverain, ou d’une société de gestion d’actifs, ou encore d’un fonds d’investissement. Contrairement aux campagnes populistes, cette structure légale n’a pas pour premier but de vendre les actifs de l’État, ou de rembourser les déposants et les actionnaires. L’objectif est d’avoir une structure légale pour d’abord améliorer la productivité des actifs que l’État a monopolisés pendant des décennies et qu’il a très mal gérés, et d’arrêter l’ingérence des politiciens dans ces secteurs. L’exemple le plus évident est le secteur de l’électricité.  Le premier objectif donc est d’avoir des secteurs productifs. Deuxième objectif : améliorer la qualité des services. Troisièmement, mener les activités avec transparence et installer une bonne gouvernance. L’objectif est d’avoir des compagnies multinationales qui prennent en charge la gérance de ces secteurs. Quatrièmement, quand ces sociétés deviendront productives, les rentrées vont renflouer le trésor, et plus tard, quand les finances publiques s’amélioreront, le surplus peut être fourni aux déposants.

Cette idée gêne les politiciens qui ont profité du monopole de l’État pour embaucher des milliers de personnes qui n’ont rien à faire dans ces secteurs, une manifestation du clientélisme politique qui va s’arrêter avec la privatisation de la gestion. Le pire exemple de la privatisation sauvage est bien celle des générateurs depuis 45 ans et qui n’est pas supervisée.

Nicolas Boukhater

Président du RDCL

Ce débat sur le fonds souverain est théorique et controversé. Certains estiment que les biens appartiennent aux générations futures et d’autres pensent que l’État est responsable des pertes et doit donc contribuer au remboursement. Il y a une part de vérité dans les deux avis. Je propose que ces actifs restent la propriété de l’État mais soient gérés par le secteur privé, au profit des finances publiques et des déposants. Il faut en parallèle réduire la taille du secteur public et faire face à la monstrueuse économie parallèle. Essayons donc de rapprocher les points de vue en créant de la valeur pour les générations futures, tout en remboursant graduellement les déposants.