Imiter la nature pour combattre le changement climatique. Une solution écologique et économique, défendue par le jeune chercheur Pierre Gilbert dans son ouvrage « Géomimétisme – Réguler le changement climatique grâce à la nature », publié aux éditions Les Petits Matins. L’idée : utiliser la biodiversité pour absorber un maximum de CO2 possible, dont les émissions sont responsables du réchauffement planétaire. Rencontre.


Question – Qu’est-ce que le géomimétisme ?

Réponse – Le géomimétisme est issu d’une contraction des termes géoingénierie et biomimétisme. Le premier cherche à modifier artificiellement le climat, le second propose de s’inspirer de la nature pour les procédés industriels ou organisationnels. L’idée du géomimétisme est donc de réguler le changement climatique en misant sur la nature, afin d’absorber un maximum de CO2, en utilisant les puits naturels de carbone que sont les forêts, les zones humides et les végétaux en général. Ces réservoirs stockent naturellement le carbone atmosphérique et le transforment en matières organiques diverses.

Q- En quoi est-ce une solution plus adéquate que la géoingénierie pour lutter contre le changement climatique ?

R – Cet ouvrage part d’un constat alarmant : les acteurs qui finançaient le lobby climatosceptique aux Etats-Unis il y a 30-40 ans financent aujourd’hui de nombreux travaux autour de la géoingénierie. Ils proposent des technologies, comme le Direct Air Carbon Capture, qui consiste à l’aide d’énormes " aspirateurs " à extraire le CO2 présent dans l’air pour refroidir artificiellement le climat. Problème : cette technique défie les lois de la physique et consomme trop d’énergie. Mais cela permet de chuchoter dans l’oreille des dirigeants politiques que la technologie peut nous sauver et qu’il n’est donc pas nécessaire de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, issues de la consommation d’énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon).
L’idée était de dénoncer cela, puis de proposer un contre-modèle basé sur la nature. Par exemple : planter des forêts en reproduisant des écosystèmes naturels qui comportent plusieurs espèces. Ce procédé ne consomme rien en terme d’énergie. On peut également utiliser les sols agricoles à travers l’agroécologie (une pratique agricole respectueuse de l’environnement et qui s’inspire des lois de la nature). Les sols accumulent d’une année sur l’autre des débris végétaux, transformés par toute une microphone en humus notamment, c’est-à-dire en forme stable du carbone. Ils deviennent aussi plus fertiles.
Remettre en eau d’anciennes zones humides asséchées permet également de réactiver une pompe très efficace à CO2. Si ces zones représentent 3% des surfaces émergées sur terre, elles stockent 25 à 30% du carbone atmosphérique.

Q – Concrètement, quelle part peut jouer le géomimétisme dans la lutte contre le réchauffement climatique ?

R – Près de 70% de nos émissions chaque année sont issues de l’utilisation d’énergies fossiles. Les autres 30% proviennent du changement d’affectation des sols, c’est à dire la déforestation ou la construction de villes. Intuitivement, on peut en conclure que le géomimétisme s’attaque plutôt à ces 30% là. Mais la déforestation et la dégradation des forêts par exemple représentent 20% des émissions de CO2 de l’humanité chaque année. Si on fait du géomimétisme partout, d’une part on stoppe ces 20% – puisqu’on arrête de déforester – mais surtout on peut inverser le processus, puisque les forêts absorbent et transforment ce CO2.

Q – Ce qui est intéressant avec le géomimétisme c’est qu’il prend en compte à la fois les cycles naturels et les cycles sociaux, dans une logique de cohabitation entre l’homme et la nature. En quoi doit-il aller de paire avec une économie durable ?

R – Une économie durable, c’est une économie qui s’appuie sur des matières premières renouvelables, issues de la biomasse – c’est à dire ce que produisent les plantes, les algues et les animaux – et qui est capable de la transformer en tout ce dont on a besoin. Par exemple, en bioplastiques, en cuillères naturelles ou encore en carlingues de fibres de carbone pour les avions. Il y a un chapitre de mon livre consacré aux océans dans lequel j’explique les avantages de la culture de macro algues à grande échelle. On peut tout faire avec, notamment du biocarburant car celles-ci sont composées à moitié d’huile. Il y a tout un tas de solutions. Géomimétisme et économie durable vont ensemble, mais à condition qu’ils soient bien articulés au niveau politique.

Q – Justement, comment imaginez-vous la mise en place du géomimétisme, notamment à travers des politiques publiques et des accords commerciaux ?

R – Nous devons inventer une diplomatie climatique, composée de deux volets : un bilatéral et un multilatéral. Pour ce qui est du premier – c’est à dire les accords d’État à État – il faut définir quelles normes et barrières tarifaires fixer aux futurs accords commerciaux. Ils devront être conditionnés au respect du climat. Les produits importés devront donc répondre aux mêmes normes que les normes avec lesquelles on souhaite les produire localement. En faisant cela on encourage les pays producteurs à élever leurs standards environnementaux et sociaux. On stimule également le tissu économique local puisque l’idée est de rapatrier un certain nombre de productions industrielles et de produire sur un modèle neutre en carbone, grâce à l’utilisation de matériaux bioinspirés.

Cela nécessite une volonté politique, mais qui est à portée de main. Il suffit par exemple qu’un État comme la France fasse pression sur la commission européenne et qu’elle conditionne ses accords au respect de l’environnement. Par exemple, nous avons récemment vendu des rafales à l’Indonésie en échange d’une augmentation des quotas d’importation d’huile de palme, pour fabriquer du biocarburant en France. C’est une hérésie climatique car là-bas, c’est justement cela qui provoque la déforestation. L’idée ce serait d’inverser la chose, que dans l’accord le pays protège ses forêts ou même qu’il reforeste. C’est un autre prisme de lecture mais qui pourrait être extrêmement efficace.

Concernant le multilatéralisme, le problème c’est qu’il s’affaiblit d’année en année. La dernière COP l’a montré : il est compliqué de mettre d’accord des États sur un enjeu aussi fondamental que le climat. Pourtant, il va falloir augmenter petit à petit le degré de coercition sur nos actions climatiques. Il faut d’un côté que les accords soient contraignants juridiquement – et obligent les États à respecter leurs trajectoires de réduction de CO2 – et de l’autre que l’on protège des zones qui sont essentielles pour le climat. C’est le cas des océans par exemple, puisque au-delà de 100 milles nautiques – c’est à dire des zones économiques exclusives – la mer n’a pas de statut juridique. On peut donc y faire ce que l’on veut. Par exemple, des flottes de pêche, notamment chinoises, ravagent l’Océan pacifique et ses fonds marins. Or ces derniers sont essentiels pour la séquestration du carbone.
On peut imaginer la mise en place d’un système de " casques bleus marines " pour protéger ces surfaces-là. Et puis on a d’autres endroits comme l’Amazonie qui sont essentiels pour l’ensemble du climat mondial. Ce sont des rouages essentiels pour à la fois les vents, la production d’oxygène et la séquestration du CO2. Une question se pose alors : le bassin amazonien est-il un bien commun mondial à placer sous gestion de l’ONU et de la bonne entente des peuples qui y habitent, ou est-ce qu’elle appartient au gouvernement de Jair Bolsonaro ? Il ne s’agit pas du tout de renoncer à la souveraineté des Etats-nations qui est fondamentale, mais ces cas particuliers nécessitent de se poser ces questions.

Q – Et à échelle locale, comment se matérialiserait le géomométisme ?

R – On peut faire beaucoup de choses. En France par exemple, une commune, une ville ou même une région peuvent végétaliser leurs aires urbaines, en créant des ceintures vertes composées d’arbres et de production vivrière. Elles peuvent aussi remettre en eau des zones humides. Certaines collectivités le font. Cela permet notamment aux agriculteurs de mieux passer les étés caniculaires.

A terme, ces opérations sont également bénéfiques sur le plan financier : lorsque l’on végétalise une ville, on agit sur la pollution atmosphérique, responsable du décès précoce d’environ 100 000 personnes en France chaque année, avec des coûts exorbitants pour la sécurité sociale. On protège également les villes des épisodes caniculaires, puisque sous la végétation il fait 12 degrés de moins que sur le béton. Tous ces éléments là sont donc aussi une bonne opération financière.

Q – Comment voyez-vous l’avenir ?

R – Il y a une vraie prise de conscience à toutes les échelles mais qui reste encore trop lente. Quand bien même il y a des élus locaux, des eurodéputés ou des capitaines d’industrie qui veulent agir, ils se retrouvent bloqués par certains verrous, notamment budgétaires. On a pas cinq ans de plus pour le climat, on a déjà trop de retard. Il faut mobiliser l’entièreté de la puissance publique au service de la transition. Les élections sont déterminantes pour un sujet aussi trivial.

" Géomimétisme – Réguler le changement climatique grâce à la nature ", Pierre Gilbert. Disponible aux éditions Les Petits Matins.

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