La rencontre imminente entre le chef druze Walid Joumblatt et deux hauts responsables du Hezbollah vise à "ouvrir une brèche" dans tous les blocages que subit le Liban, à la veille d’un règlement régional et international "presque finalisé", précise une source proche du Parti socialiste progressiste à Ici Beyrouth.

Le chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt s’apprête-t-il à se repositionner et à se rapprocher du camp du 8 Mars? Les "antennes" du leader druze, connues pour capter rapidement les signaux régionaux et internationaux, auraient-elles décelé des signes qui l’auraient encouragé à s’écarter de ses positions clairement "souverainistes" et anti-Hezbollah qu’il adopte depuis de longs mois, et notamment lors de la campagne électorale qui avait précédé les législatives de mai dernier? Alors que de nombreux observateurs se sont posé cette question récemment, surtout après l’interview télévisée de M. Joumblatt lundi dernier, des sources proches du PSP soulignent que l’objectif de cette reprise de dialogue est en fait "d’ouvrir une brèche" dans tous les blocages que subit le Liban. "Le climat régional et international laisse prévoir un règlement presque finalisé, et le Liban ne devrait pas être le seul à en payer le prix", estiment ces sources.

Au cours de l’entretien accordé à la chaîne télévisée jordanienne al-Mamlaka, le chef druze avait indiqué qu’il rencontrera bientôt des représentants du Hezbollah pour "poser les bases du dialogue" et discuter de dossier socio-économique. En effet, M. Joumblatt devrait recevoir dans les prochaines heures à son domicile à Clemenceau le responsable du comité de coordination du Hezbollah,  Wafic Safa, et l’assistant politique du secrétaire général du parti, Hussein Khalil. Selon les sources précitées, Wafic Safa aurait contacté il y a une semaine le leader druze au téléphone, et ce dernier lui aurait proposé de discuter plus en détail de toutes les questions lors d’une rencontre.

Le timing

Comment expliquer le timing de cette réunion? Après les attaques verbales réciproques entre les deux partis à la veille des législatives, comment peut-elle être justifiée vis-à-vis des bases et alliés des deux groupes? Selon des sources proches du PSP, le Hezbollah avait essayé par tous les moyens, et en application d’un plan clair, d’éliminer politiquement Walid Joumblatt à l’occasion des élections.

Ces sources précisent que le PSP, par la voix du chef du Rassemblement démocratique, le député Teymour Joumblatt, avait dès lors répondu aux tentatives d’élimination par un appel au dialogue. Elles font référence au discours prononcé justement par Teymour Joumblatt le 3 mai 2022, dans lequel il avait dit, en s’adressant à ses rivaux politiques, "vous voulez nous éliminer, mais nous voulons le partenariat avec tous".

Les élections ont permis au Parti socialiste progressiste de "consolider sa présence", ce qui a forcé le Hezbollah "à accepter cette réalité et traiter ce fait avec réalisme", à en croire les sources précitées, selon lesquelles le moment est venu de reprendre le dialogue, "que le PSP a toujours demandé".

Voilà ce qui justifie la reprise du contact aujourd’hui, précisent ces sources. Mais il y a aussi, et peut-être surtout, "un climat régional et international qui laisse prévoir un règlement, presque finalisé". Le Liban pourrait bénéficier de ce climat, au lieu de continuer à être le seul à en payer le prix, estiment ces sources.

Lors de l’interview de lundi, M. Joumblatt avait déclaré: "Comme nous le voyons, les États-Unis dialoguent, par le biais d’un intermédiaire, avec l’Iran sur la question nucléaire. L’Arabie saoudite dialogue avec l’Iran sur la question de la guerre au Yémen. Le PSP n’a-t-il pas le droit de dialoguer avec le voisin qu’est le Hezbollah sur certaines questions?".

Les mêmes sources rappellent que le Liban se trouve dans une impasse, qui se traduit par l’impossibilité de former un gouvernement, ainsi qu’une crise socio-économique sans précédent. En outre, il n’y a toujours pas de candidat à l’élection présidentielle.

Ouvrir une brèche

Toutes les voies semblant bloquées, Walid Joumblatt a estimé qu’il fallait tenter "d’ouvrir une brèche", et c’est ce qu’il fait, précisent les sources, qui s’étonnent qu’il soit accusé de "trahison" par des proches de l’Arabie saoudite, alors que ce même royaume poursuit un dialogue public avec l’Iran.

Quant à l’ordre du jour de la rencontre, il n’a pas encore été défini, même si M. Joumblatt lui-même avait déclaré dans son interview qu’il engloberait la situation socio-économique, l’électricité et le pétrole. Bien sûr, rien n’empêchera de débattre de sujets politiques, s’ils sont soulevés lors de la rencontre, selon ces sources.

Cette rencontre vise, comme l’a annoncé le chef druze, à "poser les bases du dialogue" entre les deux partis, mais aussi à "organiser les désaccords" entre eux. "C’est le terme sur lequel les deux formations s’étaient accordées avant que le Hezbollah n’arrête de respecter l’accord, mais le PSP veut bien y revenir, car il restera certainement des sujets de désaccord", précisent les sources proches de Moukhtara.

Elles démentent en outre que Walid Joumblatt soit en train de s’éloigner du chef du parti des Forces libanaises Samir Geagea, alors que ces deux formations essentielles du 14 Mars avaient forgé des alliances dans plusieurs régions pendant les élections. Le chef du PSP "a clairement dit il y a deux jours qu’il était d’accord avec Samir Geagea sur les grandes lignes, mais qu’ils avaient des divergences sur certains dossiers liés à la politique locale", précisent-elles.

Elles rappellent toutefois que pour les élections présidentielles, le chef druze a appelé à un accord entre les forces de l’opposition et du changement sur un même candidat, et a ajouté que si cette tentative échoue, "chaque bloc votera comme il le veut".

Quoi qu’il en soit, à en croire les sources proches du PSP, Walid Joumblatt ne se repositionne pas, "mais s’accroche à ses positions et ses constantes, car il sait qu’aucune décision relative aux armes du Hezbollah ne sera prise maintenant". Pour résumer la situation, "il essaie de dire à ce parti, voyons ce que nous pouvons faire ensemble, dans l’intérêt du pays, tout en maintenant nos désaccords".

Quelles seront les répercussions au Liban du règlement régional "presque finalisé", capté par les "antennes" de Walid Joumblatt? La rencontre avec les responsables du Hezbollah permettra-t-elle un rapprochement entre les deux partis, tout en "organisant leurs désaccords" ? Les prochaines semaines apporteront des réponses à ces deux questions. La démarche de M. Joumblatt a en tout cas attisé la curiosité des observateurs, comme en témoigne probablement la visite que lui a rendue mercredi l’ambassadrice des États-Unis au Liban, Dorothy Shea.