Choisir un nouveau président libanais de la République semble compliqué cette fois en raison de différents facteurs, locaux et internationaux.

Pour commencer, le Hezbollah ne pourra pas rééditer le scénario de 2016. Pour rappel, il avait réussi à entraîner les différentes forces politiques vers un consensus autour de l’élection du fondateur du Courant patriotique libre (CPL), Michel Aoun, après deux ans de vacance au pouvoir et de blocage délibéré.

Dans un second temps, l’opposition qui constitue la majorité parlementaire avec 70 députés ne parvient toujours pas à s’entendre sur le nom d’un candidat, sachant que ces députés fraîchement élus sont en désaccord, et répartis sur plusieurs groupes parlementaires, ce qui rend difficile toute entente sur un projet politique ou sur un candidat à la présidentielle. Cette opposition hétéroclite se rallie toutefois contre le mandat actuel, son système, ses partis et son équipe politique.

Troisièmement, ceux qui se réclament de l’axe de la résistance divergent également sur le choix d’un candidat. Ce camp est divisé entre ceux qui soutiennent Sleiman Frangié (chef des Marada), et ceux qui préfèrent voir Gebran Bassil (chef du Courant patriotique libre) accéder à la magistrature suprême.

Quatrièmement, les opposants à cet axe, à savoir les forces toujours divisées du 14 Mars, n’arrivent pas non plus à mettre en avant un candidat. À ce titre, un diplomate européen accrédité au Liban indique que c’est la communauté internationale qui prendrait le relais le cas échéant, si les forces locales ne parviennent pas à s’entendre. Et, là aussi, deux options se présentent: choisir un autre Élias Sarkis tel qu’exigé par le chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt, ainsi que par un nombre de forces politiques, ou choisir un autre Fouad Chehab? Laquelle de ces deux options prévaudra? À moins qu’une troisième option ne s’avère gagnante. À savoir, un profil issu du secteur économique et financier, c’est-à-dire un expert à même d’établir un projet de relance économique qui sortirait le pays de sa crise.  Mais là aussi, il faudra qu’il puisse être agréé de toutes les parties, dont plusieurs, notamment celles du 8 Mars, continuent d’envisager la présidentielle à travers le prisme de leurs intérêts politiciens étriqués.

Il faut dire qu’aujourd’hui, l’échéance présidentielle libanaise intervient dans des circonstances tragiques sans précédent, avec une crise économique accablante et des développements régionaux cruciaux, le tout dans un contexte de normalisation avec Israël en vue d’un règlement majeur. Sans compter les tentatives de Téhéran d’imposer son influence dans la région pour renforcer sa position dans les négociations américano-iraniennes sur le nucléaire, ainsi que le retour de la guerre froide, cette fois entre les États-Unis et la Chine. Sans omettre aussi la guerre en Ukraine et la crise économique mondiale qui en a résulté, les bouleversements en termes de sécurité alimentaire et le besoin énergétique mondial (européen surtout), dû à la pénurie de gaz russe.

Dernièrement, le Liban a été témoin de multiples développements qui ont bouleversé la scène politique locale, après une longue lutte de pouvoir entre les camps du 8 Mars et du 14 Mars. Cette tension politique s’est terminée au profit d’une majorité pour l’opposition, qui se trouve aujourd’hui dispersée et divisée en plusieurs blocs. Le 8 Mars, notamment le Hezbollah, a donc perdu la majorité parlementaire et par conséquent, son contrôle et son pouvoir de décision. Partant, le parti chiite n’est plus en position de nommer un nouveau président, et son secrétaire général Hassan Nasrallah a aussitôt annoncé qu’il "n’a pas de candidat, et décidera de soutenir un des candidats naturels". Le parti pro-iranien préfère éviter les répercussions de toute prise de position sur ses alliés, Sleiman Frangié et Gebran Bassil. À savoir que le choix d’un candidat doit être le fruit d’un consensus et d’un accord entre la majorité et la minorité, et que personne ne détient un droit de veto. À partir de là, il est important de souligner que le Hezbollah utilise le dossier de la présidentielle pour renforcer sa position de négociation et sa présence sur la scène locale, craignant de devenir un bouc émissaire dans le cadre d’un compromis régional, et de l’accord américano-iranien spécifiquement.

Des milieux européens bien informés soulignent que la communauté internationale appelle les forces politiques à s’accorder de toute urgence autour d’un candidat, sur la base des caractéristiques fixées par le patriarche Raï. À défaut, les pays étrangers, notamment la France, prendront le relais. Il serait convenable d’évoquer que jusque-là, les candidats potentiels qui caracolent en tête de liste sont le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, Sleiman Frangié, Gebran Bassil, Ziyad Baroud, Naji Boustani, Jihad Azour et Camille Abousleiman. Le Hezbollah ne se prononce toujours pas sur le dossier afin d’éviter tout embarras devant ses alliés, préférant donc se concentrer sur celui de la démarcation des frontières maritimes.

Selon la lecture faite par un responsable politique souverainiste de la situation actuelle, si le conflit entre les États-Unis et l’Iran s’aggrave, et que les négociations de Vienne sur le nucléaire flanchent, que les messages menaçants américains contre l’axe de la Chine, de la Russie et de l’Iran persistent, et que le climat d’escalade prime dans un contexte de guerre froide, le Hezbollah passera de la trêve à l’affrontement. Dans ce cas, il mettra la pression pour que Gebran Bassil accède à la présidence de la République. De ce fait, une rencontre de réconciliation entre Gebran Bassil et Sleiman Frangié serait en cours d’organisation par l’intermédiaire d’amis communs. Le but serait également de parvenir à une issue concernant l’échéance présidentielle.

Des cercles politiques proches de Haret Hreik affirment qu’une nomination d’un candidat de la part du Hezbollah viserait à renforcer la position du parti et de l’Iran, à réaliser des gains, et à améliorer les conditions des négociations sur le dossier présidentiel afin de parvenir à un candidat qui ne s’oppose pas à la politique du parti et à ses armes. Si M. Frangié se présente en candidat naturel, il poursuit toutefois ses contacts loin des projecteurs, évitant de se laisser distraire par des détails et des polémiques. Le chef des Marada préfère ainsi rester en retrait au moment où Samir Geagea (chef des Forces libanaises), déclare sa candidature " naturelle " au vu des qualités qu’un candidat devrait avoir. Samir Geagea souligne que n’importe quel candidat potentiel "devrait être souverainiste a minima, et capable d’entreprendre les réformes nécessaires".

Reste à savoir si le prochain président de la République sera issu de la classe politique, ou des sphères sécuritaire ou économique. Les milieux locaux, régionaux et internationaux écartent la possibilité d’un Doha 2, comme cela s’est produit en 2008. Des forces politiques au sein du camp du 8 Mars, quant à elles, insistent à élire un président dans le délai constitutionnel, et ceci pour barrer la route à certains candidats. A savoir que si un président n’est pas élu avant le 31 octobre, les chances de certains noms seront élevées. Des sources politiques laissent entendre que le choix pencherait en faveur d’un expert économique capable de faire face à la crise et de gérer les dossiers de la manne gazière et pétrolière offshore, après le lancement du chantier d’exploration afin de sauver le Liban et permettre la mise en place des réformes requises.