En 2014, après la fin du mandat du président Michel Sleiman, les forces du 14 Mars ont appelé "l’axe de la résistance" – majoritaire au Parlement, avec 74 députés – à collaborer pour s’entendre sur un président consensuel. "L’axe" a refusé et insisté sur le maintien de la candidature du général Michel Aoun, avec pour seul slogan : "Michel Aoun comme président ou nul autre".

Les tentatives du 14 Mars de convaincre le Hezbollah, qui a bloqué l’élection pendant deux ans et demi, se sont soldées par un échec. Les forces en question se sont alors rendues à l’évidence, ce qui a permis d’aboutir à l’accord de Paris et au compromis présidentiel. Ainsi, les principaux protagonistes du 14 Mars, Saad Hariri (courant du Futur), Samir Geagea (Forces libanaises) et Walid Joumblatt (Parti socialiste progressiste) ont accepté l’élection de Michel Aoun à la présidence de la République.

Celui-ci a ainsi accédé à Baabda grâce au Hezbollah. Deux ans plus tard, le parti de Dieu a réussi à faire en sorte de rompre l’alliance des partis au pouvoir, d’affaiblir les architectes du compromis présidentiel, d’annuler l’accord de Meerab et de semer la discorde entre Gebran Bassil et Samir Geagea malgré la réconciliation historique entre les Forces libanaises et le Courant patriotique libre.

Le Hezb parvint de même à éloigner Walid Joumblatt de Michel Aoun et provoquer des désaccords entre le leader druze et Gebran Bassil, ce qui a débouché sur un grave incident armé à Qabr Chmoun. L’accrochage a été rapidement circonscrit pour "éviter une nouvelle guerre civile", affirmait M. Joumblatt ce jour-là. C’est ainsi que les forces ayant facilité l’accession de Michel Aoun au pouvoir se sont éloignées de lui par la suite. Ce dernier devint désormais prisonnier de ses choix politiques et de son alliance avec le Hezbollah.

Aujourd’hui, renversement de situation : c’est au tour du Hezbollah d’exhorter l’opposition au dialogue pour se mettre d’accord sur un président consensuel. Or l’opposition ne transige pas et revendique un président souverainiste ne bénéficiant pas du soutien de la "résistance" qui, actuellement, est minoritaire avec 61 députés au Parlement. Il n’en demeure pas moins que "l’axe" jouit du tiers de blocage et en fait usage pour empêcher l’opposition de faire élire Michel Moawad à la présidence de la République.

En effet, la "résistance" n’a mis en avant aucun candidat : ses députés se contentent de votes blancs, 53 au total, et usent de leur représentation parlementaire pour mettre en avant leurs revendications. En réalité, le Hezbollah s’abstient d’évoquer son véritable candidat, Sleiman Frangié, pour éviter de le griller. Selon des sources proches du Hezb, nul camp ne sera capable d’avancer son candidat tant qu’il n’existe aucune majorité et que le Parlement n’est composé que de minorités éparses. De ce fait, il serait impératif de recourir au dialogue, comme le prône le chef du Parlement Nabih Berry.

Ces mêmes sources d’ajouter que le tandem chiite et le CPL adoptent la stratégie du tour unique et du vote blanc durant les séances parlementaires, en quittant l’Assemblée avant la fin du décompte des votes pour annuler le quorum des deux tiers requis, "de peur d’être surpris par l’opposition qui garantirait 65 votes à Moawad au second tour". La "farce des séances d’élection présidentielle", telle que le patriarche Raï la qualifie, se poursuit : une onzième séance se tiendra le 12 de ce mois. Le scénario demeurera le même, dans la mesure où l’opposition votera pour Moawad tandis que les députés de "l’axe de la résistance" se contenteront de voter blanc, avant de se retirer à la fin du premier tour pour torpiller la séance et éviter d’éventuelles surprises.

"L’axe" ne parviendra pas cette fois-ci à faire élire son candidat, comme il l’a fait en 2016, mais tente d’empêcher l’accession du candidat de l’opposition. Le Hezbollah assure Gebran Bassil qu’il lui garantira un rôle d’envergure lors du prochain mandat et qu’il lui permettra de participer au gouvernement en fonction de la taille de son bloc parlementaire, allant jusqu’à lui promettre la part du lion pour ce qui est des nominations administratives des fonctionnaires chrétiens. Le parti de Dieu maintient aussi que les dossiers relatifs du mandat Aoun ne seront pas ouverts. D’après certaines sources privilégiées du Hezbollah, M. Bassil ne serait toujours pas convaincu de l’offre faite par ce dernier.

Selon des sources informées, la onzième séance d’élection présidentielle, si elle se tenait, serait une étape charnière et cruciale. Le Hezbollah craint que les votes blancs soient inférieurs à 53, surtout si M. Bassil vote pour son propre candidat. Le cas échéant, le Hezb perdra son levier sur la table des négociations ; c’est la raison pour laquelle le parti de Dieu cherche à tout prix à activer le dossier de la présidentielle, avant que les puissances étrangères n’imposent un candidat comme il était de coutume dans le passé. D’autant que le nom évoqué à l’étranger est celui du général Joseph Aoun. Certains politologues considèrent que la déclaration de soutien au candidat Aoun – faite à Bkerké par le président du conseil politique du Hezbollah, cheikh Ibrahim Amine el-Sayyed – est susceptible de "griller" le commandant en chef de l’armée auquel s’oppose M. Bassil, comme il s’oppose à la candidature de Sleiman Frangié également.

Pour ce qui est de l’accélération du processus de la présidentielle, le Hezbollah propose à Gebran Bassil de soutenir le candidat que celui-ci mettra en avant, en échange du "retrait de Frangié et du refus de soutenir la candidature du général Joseph Aoun". Selon certaines sources proches du Hezbollah, "le candidat à la présidentielle se doit de faire le parcours classique pour accéder à la présidence, à savoir, passer par le tandem chiite, Walid Joumblatt l’allié de Berry, les sunnites indépendants et les chrétiens (du CPL)" – auxquels le Hezb tient pour empêcher les Forces libanaises de les remplacer au sein du groupe susceptible d’assurer le quorum et la majorité nécessaires pour l’élection d’un président. Si jamais ce groupe déclare le nom du candidat, les voix favorables s’élèveront à plus de 100, comme du temps de Michel Sleiman.

Le troisième candidat, soutenu par le tandem chiite, demeure anonyme, son nom n’ayant pas été évoqué par les médias. Selon certaines sources, son identité sera révélée durant le dernier quart d’heure de la séance. M. Bassil acceptera-t-il l’offre du Hezbollah de retirer Frangié pour que la machine électorale soit lancée ? M. Berry a chargé son adjoint politique de contacter le patriarche maronite pour connaître son avis au sujet de la présidentielle et du candidat "idéal". Selon certaines sources, plusieurs noms ont été cités, notamment celui du général Joseph Aoun, et l’émissaire de Berry a constaté que le patriarche Raï sera en faveur du candidat choisi par les forces politiques, ne favorisant aucun, puisque "tous sont les enfants de l’Église".

Selon un ancien ministre, "l’axe de la résistance" adoptera une stratégie différente pour faire face à cette échéance, lui qui est mis à mal sur le plan local, régional et international, surtout après la délimitation des frontières maritimes avec Israël. Une grande partie du peuple ne veut plus de lui et le tient pour responsable de la situation économique et des conditions de vie déplorables.

Le Hezbollah aura-t-il recours au "génie politique" de Nabih Berry pour faire élire un président et éviter que les puissances étrangères ne nomment le leur et imposent leurs conditions politiques, financières et économiques que le Hezb ne pourra pas assumer, surtout que ce sont ses armes que l’on vise en fin de compte ?