" L’initiative vise à rassembler sur des principes, loin des échéances électorales et des enjeux de pouvoir ", souligne l’ancien député Farès Souhaid à Ici Beyrouth.

Plus de 200 personnalités souverainistes de l’opposition à l’appareil du pouvoir en place à Beyrouth – et plus particulièrement au maître de marionnettes, le Hezbollah – se réuniront lundi dans l’espace virtuel pour lancer un " Conseil national pour la levée de l’occupation iranienne ".

Cette nouvelle structure a pour but de " créer une surface commune de dialogue transcommunautaire pour redéfinir l’échelle des priorités politiques ", affirme à Ici Beyrouth l’un de ses fondateurs, l’ancien député Farès Souhaid.

" Depuis le début de la crise récente, deux tendances rivalisent, explique M. Souhaid. L’une lie la crise nationale dans laquelle nous nous trouvons à la question de la corruption, de la mal gouvernance, de la pourriture de la classe politique et de l’incapacité de créer une initiative de salut pour le pays. L’autre estime que cette crise découle de la mainmise iranienne sur le pays par l’intermédiaire des armes du Hezbollah, qui a bloqué toutes les institutions de l’État libanais et instauré une sorte de paralysie générale qui a empêché jusqu’à présent toutes les initiatives internes, comme le dialogue avec le Fonds monétaire international, par exemple, ou le rétablissement de relations normales entre le Liban officiel, et le monde arabe et la communauté internationale. Il s’agit de notre conception, qui est à l’origine de cette démarche. "

" Nous avons été pris en otage par l’Iran qui, par l’intermédiaire du Hezbollah, paralyse toute initiative à l’intérieur du pays. Pour nous, l’hégémonie iranienne sur l’État et les grandes orientations politiques ou économiques du Liban est le dossier à traiter en priorité pour redresser la barre ", ajoute-t-il.

" Cette levée de l’hégémonie iranienne ne saurait être la spécialité d’une communauté, d’un parti, d’un courant ou d’une personnalité. Il s’agit d’une responsabilité générale à laquelle toutes les communautés et tous les souverainistes au sein de chaque parti et de chaque communauté devraient prendre part. Cet espace regroupera, partant, des personnalités libanaises en provenance de tous bords, sans distinction confessionnelle, afin de pouvoir assurer une plate-forme nationale ", souligne l’ancien coordinateur général du 14 Mars.

Le manifeste fondateur du Conseil national évoque les différents piliers sur lequel repose ce nouvel édifice souverainiste, dans une rhétorique qui fait écho aux initiatives du Congrès permanent pour le dialogue libanais, fondé en 1993 par M. Souhaid avec d’autres personnalités notables comme Samir Frangié, Hani Fahs, Mohammad Hussein Chamseddine ou Nassir el-Assaad, sous l’égide du patriarche maronite Nasrallah Sfeir et de l’imam Mohammad Mahdi Chamseddine – et qui a constitué l’une des articulations fondamentales de la dynamique souverainiste contre l’occupant syrien, qui a débouché, à travers le rétablissement progressif d’une culture du lien et de l’unité nationale entre les composantes libanaises, sur la révolution du Cèdre de 2005. L’esprit, le souffle et les mots de Frangié sont d’ailleurs récurrents dans le texte fondateur du Conseil national.

" Les prochaines législatives ne pourront rien changer "

Farès Souhaid insiste dans ce cadre que par " rétablissement de l’unité nationale ", il n’est pas question de juxtaposition de personnalités ou de partis, mais de respect de la légalité et de la légitimité libanaise, à travers l’attachement à la Constitution et l’accord de Taëf – lesquels représentent le contrat social interlibanais qui ne saurait être remis en question au profit d’une nouvelle formule quelconque dans les circonstances actuelles; arabe, représentée par le respect et la non-ingérence dans les affaires internes des pays arabes et de leurs frontières reconnues par l’ONU; et internationale, représentée par l’application des résolutions 1559, 1680 et 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU.

M. Souhaid insiste enfin sur le fait que le Conseil national n’a absolument rien à voir avec les enjeux de pouvoir et l’échéance des prochaines législatives en particulier. " Il ne s’agit pas d’un lieu de rencontre et de juxtaposition d’intérêts entre candidats ", indique l’ancien député. " Le Conseil national respecte les échéances électorales et la volonté de tout un chacun de se porter candidat aux élections, mais ne croit pas que ces élections en soi représenteront une occasion de changement ", dit-il.

Pour le porte-parole du Rassemblement de Saydet el-Jabal, " le changement devrait être opéré en amont des élections, par l’intermédiaire d’un événement politique au Liban ou dans la région, afin que les élections viennent concrétiser et garantir ce changement ". " Sinon, l’échéance électorale ne sera rien de plus que l’occasion pour le Hezbollah de remettre encore une fois la main sur la majorité parlementaire ", conclut-il.

Parmi les nombreuses figures politiques et de la société civile que le Conseil national comptera dans ses rangs, les anciens ministres Ahmad Fatfat et Hassan Mneïmné, l’ancien porte-parole du Rassemblement de Kornet Chehwane, Samir Abdelmalak, ou l’opposante chiite Mona Fayad.

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Le texte intégral du manifeste

Voici le texte intégral du manifeste du Conseil national, traduit par Ici Beyrouth :

Manifeste du Conseil national pour la levée de l’occupation iranienne

I – De l’écart dangereux de la Constitution et de l’accord de Taëf dans des circonstances régionales en mutation

Nous nous trouvons face à un tournant où les nouveaux contours de la région se dessinent, cent ans après l’effondrement de l’Empire ottoman et l’entrée en vigueur de l’accord de Sykes-Picot.

Des courants islamistes sunnites et chiites arabes et non arabes occupent le devant de la scène régionale. Ces courants tentent de déterminer leur poids politique, économique et militaire aux dépens de l’identité régionale, la liberté, la démocratie et l’édification de l’État-nation.

Les participants expriment leur attachement à ce qui a été agréé entre les Libanais à Taëf, qui est devenu la Constitution du pays et qui souligne le caractère définitif de l’entité libanaise, son arabité et son appartenance à l’identité arabe.

Le caractère définitif de l’entité libanaise constitue la garantie première requise pour que le Liban ne soit pas réduit à des dimensions inférieures ou fondu dans un espace plus vaste.

L’arabité du Liban et son appartenance à son environnement arabe lui assurent la garantie d’adhérer au système d’intérêt arabe dont les contours commencent à se tracer dans la première partie de ce siècle.

II – Du danger du coup d’État contre Taëf, la Constitution et la légalité internationale

Ce danger provient de trois orientations politiques essentielles:

– Le Hezbollah, qui tente d’amender Taëf en fonction de ses intérêts.

– Le Courant patriotique libre, qui a fondé sa légitimité sur le rejet de Taëf.

– Les tenants des options séparatistes, qui prônent l’exclusion de l’autre aux dépens de la culture du lien.

S’écarter de la Constitution à un moment où une partie libanaise possède des armes illégales sous commandement iranien, mènera in fine à une révision du système politique et de la Constitution sur base des rapports de force, ce que les participants refusent. Le Liban ne peut être gouverné que par la force des équilibres constitutionnels.

Les participants réclament le parachèvement de l’application de l’accord de Taëf dans toutes ses clauses, et plus précisément:

– Le rétablissement de la souveraineté de l’État sur l’ensemble du territoire libanais, et surtout du monopole de la violence légitime, qui doit revenir aux institutions sécuritaires officielles.
– La décentralisation administrative élargie.
– La fondation d’un Sénat comme garantie pour les droits des groupes communautaires, jusqu’à parvenir à l’élection d’un Parlement sur des bases nationales non confessionnelles.
– La formation d’un comité national pour l’abolition du confessionnalisme politique.
– La restitution au Conseil constitutionnel de son droit à interpréter la Constitution, conformément à l’accord de Taëf.

Les participants réclament l’application des résolutions internationales, notamment la 1559, la 1680 et la 1701, dont la légalité se base sur l’accord de Taëf. Partant, proclamer son attachement à Taëf, c’est proclamer son attachement aux résolutions internationales.

Le Conseil national appelle l’ONU à déployer ses forces sur l’ensemble des frontières libanaises.

III – Du vivre-ensemble et du partenariat national à l’ombre de la rébellion d’une partie contre la justice libanaise et internationale

L’existence de l’État, comme dans chaque pays du monde, constitue une condition sine qua non pour la réussite du vivre-ensemble, en sa qualité d’autorité de référence à même d’imposer le respect des principes de justice et de liberté pour tous les citoyens. Il n’y a pas de vivre-ensemble s’il y a un citoyen qui comparaît devant la loi et un autre qui dispose du " privilège " de se rebeller contre la loi nationale et le droit international, ou encore si certains peuvent porter les armes face à des citoyens désarmés.

Les participants appellent le Hezbollah à retourner au Liban aux conditions de la loi et de la Constitution libanaises et à remettre ses armes à l’État en vertu de la Constitution et des résolutions 1559 et 1701, ainsi qu’à livrer à la justice ceux qui ont planifié et mis à exécution les assassinats de plusieurs symboles nationaux et citoyens innocents, à commencer par le Premier ministre martyr Rafic Hariri.

Les participants rejettent les armes illégales, quelles qu’elles soient, et expriment leur attachement au monopole des armes aux mains des institutions militaires et sécuritaires libanaises. De même, ils rejettent toute autre forme d’armes, quels qu’en soit le label ou le justificatif.

Les participants expriment leur attachement à la Constitution issue de l’accord de Taëf, sur lequel les Libanais se sont mis d’accord, et qui confirme le caractère définitif de l’entité libanaise et son appartenance arabe.

IV – Du débat sur la question de la neutralité du Liban, dans la complémentarité avec l’identité et l’appartenance du Liban

Pour les participants, la neutralité commence lorsque chaque partie interne cesse de puiser sa force de l’extérieur aux dépens du partenariat national, dans la mesure où cet étalage de musculature se fonde sur le compromis suivant: une partie interne concède une partie de sa souveraineté en contrepartie de gains obtenus aux dépens de son partenaire interne.

Les participants savent de l’expérience centenaire du Liban que la souveraineté est indivisible et qu’il ne saurait y avoir de gains particuliers pour une partie au détriment du partenariat interne intégral.

Les participants soulignent que toutes les communautés et les parties au Liban ont fait l’expérience de ce recours à la force étrangère. Aucune communauté, aucun parti, n’a été l’abri des retombées des " aventures " de cet appui sur l’étranger.

C’est pourquoi les participants réclament la neutralité, qui est un pacte interlibanais dépassant les considérations constitutionnelles et légales et qui était à la base de l’idée libanaise.

La neutralité n’est pas une étape fondatrice à rajouter aux précédentes, à l’instar de la fondation du Grand Liban en 1920, du pacte national de 1943 ou de l’accord de Taëf de 1989. La neutralité requise aujourd’hui comme nécessité nationale protectrice et rassembleuse pour tous les Libanais s’inscrit dans foulée de la préservation de l’équilibre islamo-chrétien, à l’ombre du respect de la justice et de la liberté.

V – Du recouvrement du rôle économique et culturel du Liban dans la région et le monde

Nous entrons aujourd’hui dans une étape où Israël a atteint une profondeur stratégique dans la région et où l’Iran, la Turquie et la Russie se sont étendus avec des appels d’empires suspendus durant des années, à l’ombre d’une renaissance économique du Golfe arabe. En contrepartie, l’économie libanaise a reculé en raison d’une mauvaise gestion, d’une corruption endémique et d’occupations successives depuis l’accord du Caire de 1969 jusqu’à l’occupation iranienne actuelle.

Les participants considèrent qu’il existe une impossibilité de mener des réformes économiques sans la levée de l’occupation iranienne.