Avoir une vision manichéenne du monde, des réalités qui nous entourent, est pour nombre de personnes quelque peu répugnant. En termes de rapports humains, rien n’est jamais en effet blanc ou noir. Et pourtant, le Liban – éternel paradoxe – vit aujourd’hui à l’ombre d’une situation géopolitique marquée par une polarisation qui s’accroît à un rythme exponentiel. Comment pourrait-il en être autrement lorsque les grands enjeux en cours font tendre la réalité sur le terrain vers une conjoncture de type manichéen. Les faits sont là pour illustrer cette dynamique très particulière…

Sans vouloir verser dans la théorie du complot, mais en faisant tout de même l’effort de prendre beaucoup de recul et de hauteur dans la perception des événements, on ne peut s’empêcher de constater que le Moyen-Orient, et avec lui bien évidemment le Liban, est aujourd’hui le théâtre d’une tentative meurtrière d’imposer à la région dans son ensemble un fait accompli, intrus à bien des égards, dont l’un des objectifs est visiblement d’édifier des sociétés fondées sur des situations de conflits et de guerres sans horizons et sans fins. Le discours des ténors du Hezbollah est particulièrement explicite sur ce plan, avec leur obstination effrénée à demeurer aveuglément amarrés au leitmotiv de la " résistance ".

Un rapide survol des développements en cours dans plus d’un pays de la région permet de peaufiner le tableau en percevant la portée et la gravité de ce qui se joue autour de nous. Au Yémen, les Houthis alliés de Téhéran perdent-ils du terrain face aux percées de la " Brigade des géants ", soutenue par les Émirats arabes unis ? La riposte est simple… Elle offre une occasion en or de saboter une expérience réussie de prospérité et de modernité en lâchant des missiles bien ciblés sur Abou Dhabi et Dubaï. Le classique chantage milicien : soit vous nous laissez les mains libres pour nous adonner à notre expansionnisme et notre entreprise de sape, soit nous torpillons votre stabilité et détruisons ce que vous avez construit et qui fait votre fierté.

C’est à un jeu maléfique similaire que se livrent dans le même temps en Irak les autres suppôts de la République islamique iranienne. Nous avons perdu les élections ? Nous nous employons à en effacer les résultats par la violence, les attentats, l’intimidation, les menaces. L’instabilité, la discorde, les situations de conflits sont leur oxygène, leur fonds de commerce. Encore un chantage auquel nous avait accoutumé le régime Assad avec son complément : la politique du pyromane-pompier.

Cela nous amène au cas spécifique du Liban avec la thèse ardemment défendue par les pôles du pouvoir et certains ténors de la vie politique, clairement imprégnés de " l’esprit de Munich " de 1938, qui n’avait pas empêché, malgré la compromission, la Seconde Guerre mondiale : " Nous devons concéder sans cesse des concessions au Hezbollah, accepter leur règle du jeu afin de préserver la paix civile "… Et tant pis si entre-temps le bras armé du régime des mollahs iraniens poursuit lentement, de façon systématique, son emprise sur les institutions, sur tous les rouages du pouvoir. Tans pis s’il s’emploie sereinement à tenter de changer le visage du Liban, ce qui faisait la raison d’être et la spécificité du pays du Cèdre, qualifié de " joyau " par le ministre koweitien des Affaires étrangères lors de sa récente visite à Beyrouth.

L’esprit de Munich dans toute sa splendeur : c’est ce sur quoi misent aujourd’hui les Gardiens de la révolution iranienne pour asseoir leur emprise sur le Moyen-Orient et contraindre les dirigeants frileux de la région à se soumettre à leur diktat. Dans le contexte actuel, la logique vichyste est le prétexte idéal, soit-dit en passant, exploité à outrance par les parties dont la principale motivation est de préserver un brin de pouvoir.

Ceux qui à Téhéran mènent ce jeu machiavélique d’une main de maître ont-ils réellement pour objectif de changer la face de la région et d’édifier un nouvel empire perse, ou leur but est-il plutôt de jouer à la guerre pour mieux faire la paix et se forger ensuite une belle place au soleil ? L’issue des négociations de Vienne permettra sans doute d’apporter une réponse à cette énigme et de percevoir la finalité de ces jeux interdits auxquels se livre le pouvoir iranien.

Il reste que quel que soit le cas de figure, les Libanais ont aujourd’hui une responsabilité historique, dans toute l’acception du terme, à assumer : se bétonner face aux grandes manœuvres dont la région est le théâtre, indépendamment des véritables enjeux et objectifs de telles manœuvres. Les factions et personnalités souverainistes ont plus particulièrement un rôle crucial à jouer dans ce contexte en mettant une sourdine aux petits calculs partisans, clientélistes, électoraux ou personnels… Car leur devoir national est plus que jamais de faire impérativement front commun face aux acteurs régionaux et transnationaux qui pourraient peut-être avoir pour réel objectif d’imposer au Liban et à la région un projet de société en tous points obscurantiste et ténébreux.