Le Liban officiel a fait un pas de plus concernant la guerre en Ukraine, en votant mercredi dernier à l’Assemblée générale des Nations unies en faveur de la déclaration condamnant l’invasion russe du pays. Cette position a été précédée par une série de prises de positions non déclarées qui ont conduit le ministère des Affaires étrangères à publier le 24 février dernier, soit au premier jour de l’offensive russe, un communiqué condamnant les agissements de Moscou.

Selon des sources ayant suivi de près le développement de la position officielle entre le 24 février et le 2 mars, date à laquelle s’est tenue la réunion de l’Assemblée générale, une réunion de travail entre le chef de l’État Michel Aoun et le Premier ministre Nagib Mikati en prévision du Conseil des ministres du 25 février dernier avait été interrompue par le directeur général de la présidence Antoine Choucair. Ce dernier a annoncé à M. Mikati que le palais Bustros était sur le point de publier un communiqué exprimant la solidarité du Liban avec l’Ukraine et qu’il voulait avoir son aval. Pendant les discussions, le Premier ministre a eu vent de contacts diplomatiques menés par l’ambassadrice des États-Unis Dorothy Shea avec le ministère des Affaires étrangères, exprimant l’espoir que le Liban condamnera la guerre russe. Ce faisant, tant Michel Aoun que Nagib Mikati ont donné leur accord pour la publication du communiqué officiel.
Dans les mêmes milieux, on affirme que des amis communs au Hezbollah et à Nagib Mikati ont rendu visite au Premier ministre, le week-end dernier. Ils lui ont fait part du mécontentement du parti chiite au sujet du communiqué du ministère des Affaires étrangères. Ce à quoi le Premier ministre a répondu: " Que le Hezb nous l’accorde. Ce communiqué compte beaucoup pour le Liban à une période où il a besoin du soutien des États-Unis pour l’acheminement de l’électricité de la Jordanie et du gaz de l’Égypte. Il a également besoin du soutien de Washington pour les négociations en cours avec le Fonds monétaire international ". Et M. Mikati de poursuivre: " La décision du Liban d’adopter une politique de distanciation concernait nos relations avec le monde arabe. C’est ce que nous avons réitéré dans le cadre des crises successives avec les pays du Golfe. La guerre en Ukraine est une chose différente. Nous avons des intérêts que nous devons préserver. "
Il semblerait que cette précision apportée par le Premier ministre et relayée à la direction du Hezbollah a eu son impact. De fait, le parti a paru indifférent au récent vote du Liban à New York. Il n’a pas non plus manifesté de réaction comparable à celle qu’il a eue lors de la réunion du cabinet le 25 février, c’est-à-dire au lendemain de la publication du communiqué du palais Bustros, lorsque le ministre du Travail, Moustapha Bayram, avait rejeté un communiqué publié " sans aucune coordination préalable ". Ce qui avait poussé le ministre de l’Information par intérim Abbas al-Halabi à déclarer, en réponse à une question relative à la position de M. Bayram, que celui-ci " s’est déclaré surpris par la position prise par le ministère des Affaires étrangères concernant le conflit entre la Russie et l’Ukraine ". M. Halabi avait en outre souligné " l’existence de divergences dans les points de vue ", notant que le palais Bustros " avait pris cette position ".
Quiconque s’informe de la teneur du message envoyé par le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, à l’ambassadeur d’Ukraine au Liban, Igor Ostash, dans lequel il exprime sa solidarité avec le peuple ukrainien, réalise que le leader druze, qui entretient des relations historiques avec la Russie, n’a pas pu fermer les yeux sur les atrocités de la guerre lancée par Moscou contre l’Ukraine. Dans sa missive, il avait déclaré: " Au nom du Parti socialiste progressiste, j’exprime ma solidarité avec le peuple ukrainien qui fait face à cette guerre injustifiée et à ses conséquences humanitaires tragiques. Seule une solution diplomatique reposant sur le droit international et les traités antérieurs, tel que l’accord de Minsk, peut mettre fin à cette tragédie et arrêter l’effusion de sang ". En réponse, l’ambassadeur d’Ukraine a fait part de son " grand respect pour la personne de M. Joumblatt et sa contribution à l’histoire du Liban ".
À New York, la représentante permanente du Liban auprès de l’ONU, Amal Mudallali, a affirmé que le vote de Beyrouth en faveur de la déclaration adoptée par l’Assemblée générale est dû au fait que le Liban, membre fondateur de l’ONU, croit aux principes de la Charte des Nations unies, au nombre desquels notamment l’interdiction de la menace ou de l’emploi de la force dans les relations internationales, le principe de non-ingérence et le règlement pacifique des conflits.
Sur base de ce qui précède, il devient clair que l’Ukraine a permis au Liban de recouvrer une partie de sa souveraineté en matière de relations extérieures après avoir subi – et continue de subir – les pressions exercées par le Hezbollah pour aligner le pays sur l’axe dirigé par l’Iran dans la région.