Walid Joumblatt, Farès Souhaid, Ahmed Fatfat et Pierre Bou Assi reviennent sur la journée historique du 14 mars 2005, et expliquent " l’esprit " de ce mouvement. Dans des interviews à Ici Beyrouth, ils analysent les erreurs commises, en tirent les leçons, racontent leurs souvenirs les plus marquants de cette période, et font même des révélations.

Il y a 17 ans, un lundi ensoleillé de mars, plus d’un million de Libanais se sont rassemblés à la place des Martyrs, à Beyrouth, pour réclamer justice et souveraineté. Justice, dans le crime de l’assassinat un mois auparavant, le 14 février 2005, de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, dans une énorme explosion qui avait secoué la capitale et bouleversé le cours de l’histoire du pays. Et souveraineté, ce qui signifiait à l’époque le retrait des troupes syriennes du Liban après 29 ans d’occupation et de tutelle.

Une marée humaine, joyeuse, courageuse, et lumineuse, avait investi cette place, rebaptisée Place de la liberté. Des Libanais de tous les âges, de toutes les régions et classes sociales, unis par ces mêmes revendications et arborant un seul drapeau, celui de leur pays.

Si le retrait des soldats syriens a rapidement eu lieu, le 27 avril 2005, fruit de cette détermination locale et de pressions internationales, la justice, elle, a été plus lente à se concrétiser. Mais le Tribunal spécial pour le Liban, établi par les Nations-Unies, a finalement condamné fin 2020 à la perpétuité Salim Ayache, membre du Hezbollah, reconnu coupable d’avoir pris part à l’assassinat de Rafic Hariri. Et voilà que le 10 mars 2022, il juge coupables en appel deux autres membres du Hezbollah, Hassan Habib Merhi et Hussein Hassan Oneissi, pour ce même crime.

Les demandes brandies le 14 mars 2005 ont donc bel et bien été réalisées, d’une façon ou d’une autre. Malheureusement, les assassinats se sont poursuivis, et de nombreuses personnalités du 14 Mars, celles-là mêmes qui haranguaient les foules au centre-ville, en ont été victimes. Et la tutelle syrienne a été remplacée par une autre, iranienne, représentée par le " Hezbollah ".

Aujourd’hui, 17 ans après cette journée qui restera gravée à jamais dans la mémoire de ceux qui y ont participé, elle semble cependant bien loin. L’espoir a cédé, de nombreuses fois, la place au désespoir. La situation économique et politique est désastreuse et a poussé des milliers de Libanais à partir à la recherche de cieux plus cléments.

En raison précisément de cette situation, les Libanais se sont soulevés une nouvelle fois, le 17 octobre 2019. Par milliers, parfois par dizaines de milliers, ils ont manifesté, pendant des mois. Mais cette fois, les revendications avaient changé, les slogans aussi. Il ne s’agissait plus de justice, d’indépendance ou de souveraineté. Les protestataires brandissaient des demandes à caractère socio-économique, et réclamaient la chute de la classe politique toute entière sous le slogan " kellon yaani kellon " (tous, ça veut dire tous), du fait de sa " corruption ".

Dix-sept ans après le 14 mars, et deux ans et demi après le 17 octobre, plusieurs questions se posent : Que reste-t-il de l’esprit du 14 Mars ? À quel niveau ce mouvement a-t-il mal tourné ? Les erreurs commises étaient-elles inévitables ? Le 14 Mars a-t-il été piégé ou a-t-il été victime de l’égoïsme ou des mauvais calculs de ses leaders ? Les ténors du 14 Mars, longtemps considérés comme des héros, comment perçoivent-ils les accusations de faire partie de la classe politique corrompue ? Quelle est la relation entre le 14 Mars et le 17 Octobre ? Qui représentera l’esprit du 14 Mars lors des prochaines législatives ?

Ces questions, Ici Beyrouth les a posées à quatre personnalités du 14 Mars. Il s’agit du chef du Parti Socialiste Progressiste, Walid Joumblatt (qui avait joué un rôle prépondérant dans le lancement du mouvement du 14 Mars et était considéré comme l’un de ses principaux ténors), de l’ancien député Farès Souhaid (qui a dirigé le Secrétariat général du 14 Mars quand cette coalition était active et qui préside aujourd’hui le Rassemblement de Saydet el-Jabal), d’Ahmed Fatfat (ancien député du courant du Futur, actuellement président du " Conseil national pour la levée de l’occupation iranienne ") et de Pierre Bou Assi, député membre des Forces libanaises.

Les interviews ont essentiellement porté sur l’aspect politique, ce qui a donné lieu à des confidences et des révélations. Mais elles ont également essayé de comprendre comment ces personnalités ont vécu le 14 mars 2005, quels souvenirs elles en gardent, et ce qu’elles changeraient, si c’était à refaire. Même si, comme le souligne Walid Joumblatt, " on ne peut pas refaire l’histoire ".