La visite du chef des Marada, Sleiman Frangié, à Moscou, le 15 avril dernier a revêtu une importance particulière à l’aune de la prochaine élection présidentielle au Liban, prévue à l’automne prochain. Au cours de ses échanges avec les dirigeants russes, notamment le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, le chef des Marada a exposé ses vues qui ne laissaient place à aucun doute quant à sa vision concernant l’échéance présidentielle.

Selon les informations rapportées par certains médias, Sleiman Frangié a fait part au chef de la diplomatie russe, lors de leur entretien le 15 avril dernier, de sa lecture des développements au Liban, surtout après l’iftar organisé par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui a réuni Frangié et le chef du Courant patriotique libre, le député Gibran Bassil. Le chef des Marada a dit, entre autres, au ministre russe des Affaires étrangères : "Je serai le prochain président de la République au Liban. Les élections législatives qui auront lieu le mois prochain permettront à notre camp politique d’obtenir 67 sièges au Parlement."

Dans ce cadre, M. Lavrov a interrogé son invité sur les rumeurs qui courent au sujet de l’éventuelle candidature du commandant de l’armée, le général Joseph Aoun, à la présidence de la République. M. Frangié n’a pas commenté cette question, selon certains médias, qui ont précisé que les propos de M. Frangié sur le nombre de sièges dans le nouveau Parlement que son camp politique pourrait remporter, est exagéré. Selon les prévisions, son camp politique devrait plutôt engranger 62 sièges.

Par ailleurs, les sources susmentionnées ont souligné que l’administration russe voit d’un très mauvais œil la position prise par le député Gebrane Bassil sur la guerre en Ukraine.

En outre, les propos de M. Lavrov concernant la stabilité du Liban pendant cette phase délicate que traverse le Moyen-Orient étaient intéressants. Il a ainsi appelé au contrôle des frontières orientales entre le Liban et la Syrie, et à la fermeture de tous les points de passage illégaux afin que les autorités libanaises exercent, elles seules, leur souveraineté sur les points de passage aux frontières.

Selon des informations officielles russes portant sur la réunion, M. Lavrov a déclaré à Sleiman Frangié: "Nous voulons très franchement aider nos amis libanais à résoudre les problèmes qui les ont empêchés ces dernières années d’atteindre les objectifs favorables au développement de l’État et au renforcement de sa sécurité."

M. Lavrov aurait ajouté: "Vous conviendrez qu’il est important de préserver les principes qui régissent l’État contemporain au Liban que nous appelons toujours à renforcer, en particulier lors de nos travaux au sein du Conseil de sécurité de l’ONU."

Le ministre russe a d’ailleurs souligné que Moscou "adopte cette approche dans ses contacts réguliers avec les représentants de l’ensemble des factions politiques au Liban".

Les positions du ministre russe sur la stabilité au Liban s’accordent, semble-t-il, avec les informations rapportées par le journal Asharq al-Awsat, citant des sources de l’opposition syrienne, qui ont fait état du retrait des Russes de plusieurs positions en Syrie en vue de déployer une partie de leurs forces sur le front ukrainien. Dans la foulée, de gros avions de type Ilyushin, Antonov et Tupolev ont quitté ces derniers jours la base aérienne russe de Hmeimim dans la campagne de Lattaquié pour la Russie, alors que les manœuvres des chasseurs russes se poursuivent régulièrement dans l’espace aérien syrien.

Par ailleurs, concernant le bilan que l’on pourrait tirer des pourparlers de M. Frangié à Moscou, les sources médiatiques susmentionnées affirment que la confiance affichée par le chef des Marada quant à son accession à la présidence de la République est d’abord due à la position du Hezbollah.  Son chef avait tenu à réunir les deux alliés et ennemis jurés autour d’un iftar le 8 avril. Cette démarche reflétait une volonté de prévenir d’éventuels conflits entre les deux leaders, M. Bassil ne cachant pas ses ambitions présidentielles et Michel Aoun son désir de garder le pouvoir durant les six prochaines années par l’intermédiaire de son gendre.

Selon les mêmes milieux médiatiques, il est fort probable que Michel Aoun ait commencé d’ores et déjà à préparer le terrain pour faire pression sur son allié, le Hezbollah, au moment opportun afin qu’il revienne sur sa position actuelle de soutenir M. Frangié. Ce soutien s’explique par une promesse faite en 2016, lorsque le chef des Marada s’était retiré de la course présidentielle pour permettre au général Aoun d’accéder au palais de Baabda. En contrepartie, M. Frangié aurait reçu l’assurance qu’il serait l’heureux élu dans la course à la présidence de 2022. Peut-être que la déclaration du président Aoun après la messe de Pâques à Bkerké s’inscrit-elle dans le cadre des possibles pressions contre le Hezbollah. Force est de rappeler à cet égard qu’en réponse aux critiques des familles des victimes de l’explosion du 4 Août, qui se plaignaient du laxisme de l’État, le président Aoun avait déclaré : "Vous devriez interroger ceux qui font obstruction à la justice, ils sont connus de tous. Ce sont ceux-là mêmes qui ont paralysé le Conseil des ministres" (allusion à peine voilée au tandem Hezbollah-Amal).

Partant, les nouvelles en provenance de Moscou ne semblent pas être de bon augure pour le gendre du président, contrairement à son rival, le leader nordiste. Cependant, jusqu’à l’élection présidentielle, nous ne sommes pas à l’abri de toutes sortes de surprises.