À qui s’adresse le secrétaire d’État américain Antony Blinken lorsqu’il fait état des "capacités des États-Unis à contrer les autres activités malveillantes de l’Iran dans la région"?

Essaie-t-il par ses propos de rassurer ceux à qui il s’adresse pour justifier l’empressement de Washington à relancer l’accord sur le nucléaire, au motif que c’est "la meilleure façon de faire face au défi nucléaire posé par l’Iran"? Devant le Congrès américain, il y a deux jours, Antony Blinken avait indiqué que les "activités malveillantes de Téhéran dans la région seraient pires si les Iraniens possédaient une arme nucléaire ou la capacité d’en détenir une".

Probablement qu’une partie de la réponse peut être trouvée dans le timing de cette déclaration. Elle a été faite après des consultations américano-israéliennes engagées pour discuter de plans alternatifs en cas d’échec total des négociations sur le nucléaire.

L’autre partie, si elle s’adresse aux pays lésés par les "autres activités malveillantes et les comportements hostiles" de la République islamique, n’apporte pas de réponse. Et pour cause: ces pays continueront à subir les conséquences de la politique iranienne, qu’ils soient sous l’emprise totale de l’Iran, à l’instar du Liban, de l’Irak, de la Syrie et du Yémen, ou ciblés par ses drones comme c’est le cas pour l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.

Ces pays savent pertinemment que l’Iran parie actuellement sur les crises générées par la guerre en Ukraine, pour inciter les États-Unis à signer un accord sur le nucléaire à la hauteur de ses ambitions. Ils savent aussi qu’il a des moyens de chantage pouvant pousser l’Administration américaine à signer l’accord sur le nucléaire pour que les sanctions imposées par Washington soient levées et qu’il puisse s’ouvrir économiquement sur le monde, avant tout développement qui pourrait mettre fin à la guerre en Ukraine ou en atténuer l’impact, notamment pour ce qui a trait aux crises de l’énergie et du blé.

Les déclarations des responsables iraniens confirment ce pari. Elles confirment aussi les orientations de la politique de Téhéran qui continue d’avancer des exigences sans rien concéder en contrepartie. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian avait annoncé plus tôt en avril ne pas céder aux exigences américaines, vu que "son département œuvre en toute logique à préserver les intérêts supérieurs de la nation et tient compte des lignes rouges."

Les lignes rouges que les États-Unis sont censés respecter, selon Téhéran, consistent à ne pas évoquer les dossiers liés aux missiles balistiques, aux attaques de l’Iran contre les États du Golfe, à l’implantation de milices dans les pays qu’il ébranle, du Yémen au Liban en passant par l’Irak et la Syrie, ou à l’exploitation de factions palestiniennes qui sont au service de l’Iran et non de la cause palestinienne. Sans oublier bien entendu la condition essentielle posée par Téhéran consistant à lever les sanctions contre les " Gardiens de la révolution iraniens ", lesquels contrôlent l’économie et financent les ramifications iraniennes dans les pays sous son contrôle. On peut comprendre dès lors la volonté de l’Iran de miser sur le facteur temps pour exercer des pressions sur les États-Unis en vue de signer l’accord sur le nucléaire, surtout avec l’exacerbation des crises générées par la guerre russe contre l’Ukraine.

D’ailleurs, la concomitance des récentes déclarations de Blinken et de la menace du Kremlin de couper ses approvisionnements en gaz naturel aux pays qui ne règlent pas la compagnie énergétique russe " Gazprom " en roubles, n’est pas une coïncidence, et ce quelques heures après l’arrêt des flux de gaz vers la Pologne et la Bulgarie. Il ne fait aucun doute que le Kremlin ne renoncera pas à utiliser l’approvisionnement énergétique comme une arme dans sa guerre contre les États-Unis et ses pays satellites, et de menacer la sécurité européenne.

Par conséquent, l’Iran maintiendra son pari face aux conditions de Washington qui a jeté la balle dans le camp iranien en affirmant que "la responsabilité de prendre les décisions qui s’imposent incombe à Téhéran".  Plus encore, les Américains se sont déclarés prêts à retirer un million de barils de pétrole par jour de leurs réserves stratégiques et disposer d’un plan pour six mois, à partir du mois de mai, tout en soulignant leur refus de lever les sanctions contre les "Gardiens de la révolution iraniens". Ils ont même élevé le ton récemment en accusant l’Iran de disposer d’un programme nucléaire encore plus dangereux et de développer prochainement une arme nucléaire". Qu’à cela ne tienne, l’Iran ne se trouve pas obligé de faire des concessions, tant que les développements de la guerre russe contre l’Ukraine peuvent lui permettre de gagner son pari contre les États-Unis, qui n’ont plus qu’à "retourner à Vienne non pas pour mener de nouvelles négociations , mais pour conclure l’accord sur le nucléaire."

Téhéran préserve ainsi sa ligne rouge qui consiste à "ne pas lier les enjeux régionaux aux siens, puisqu’ils ne sont pas à l’ordre du jour des négociations". Ces enjeux lui donnent d’ailleurs davantage de leviers dans ses pourparlers et concrétisent ses projets expansionnistes.

Dans le même temps, l’Iran se vante que la guerre d’Urkraine joue en sa faveur puisque "sa production de pétrole a atteint les chiffres antérieurs aux sanctions, en dépit des pressions économiques". " Nous sommes aussi maintenant en mesure de doubler nos exportations", a récemment déclaré le PDG de la National Iranian Oil Company (NIOC) Mohsen Khojasteh Mehr, notant qu’"en termes de sécurité énergétique, la République islamique est capable d’assurer la stabilité sur la scène internationale".

En somme, l’Iran semble conforté dans son pari, lui qui dispose de plus d’un levier pour négocier. Il pourra continuer à tenir tête aux États-Unis, en tablant sur leur capacité à revenir sur leurs décisions, tout en inventant de nouveaux moyens pour attiser l’enfer dans certains points de la région.