Lors des manifestations contre la politique " Zéro Covid " que le gouvernement chinois voulait imposer, les étudiants ont joué un rôle majeur à travers plusieurs actions d’éclat dans les grandes villes et universités du pays. Des revendications d’ordre politique ont même été entendues, des étudiants de l’université Tshinghua de Pékin ayant scandé " liberté d’expression, démocratie et État de droit ", sans compter des slogans anti-gouvernement à l’intérieur du campus. 

Depuis le début du XXe siècle, les universités chinoises sont des foyers d’activisme, même si l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping en 2012 a fortement réduit ces mouvements. (AFP)

 

 

Les étudiants ont joué un rôle important dans les manifestations qui ont secoué la Chine il y a quelques semaines, faisant honneur à la longue tradition des mouvements étudiants dans le pays et mettant à mal l’idée selon laquelle leur génération serait apolitique.

Fin novembre, ce qui a commencé par des veillées d’hommage aux victimes de l’incendie meurtrier d’un appartement s’est rapidement transformé en mécontentement populaire.

Dans plusieurs villes et universités de Chine, des manifestations d’une ampleur inhabituelle ont fini par éclater, exigeant plus de libertés politiques et la fin des restrictions sanitaires, ce qui a poussé les autorités à renoncer à la politique de " zéro Covid ".

Au sein de la prestigieuse université Tsinghua de Pékin, des étudiants ont scandé " liberté d’expression, démocratie, État de droit ". Idem chez leurs rivaux de l’université de Pékin où des slogans anti-gouvernementaux ont été talochés sur les murs. Et dans d’autres campus, nombreux étaient les étudiants à brandir des feuilles blanches symbolisant leur rejet de la censure à l’œuvre dans le pays.

Le pays a une longue tradition de mouvements étudiants qui ont laissé des traces au sein de la société chinoise. Les manifestations de Tiananmen en 1989 ont été réprimées dans le sang par l’armée, qui s’en est pris aux protestataires pacifiques.

Mais les étudiants d’aujourd’hui n’ont pas connu la répression de Tiananmen et ont reçu une éducation hautement patriotique depuis leur naissance, ce qui a laissé croire que cette génération était moins consciente politiquement que la précédente.

" Je pense que les étudiants chinois d’aujourd’hui sont beaucoup plus informés sur le monde qu’on ne le croit parfois ", fait valoir Wen-Ti Sung, politologue à l’Université nationale australienne.

" Ils peuvent être des +nationalistes libéraux+, patriotes certes, mais aussi faire preuve d’une aspiration typique propre à la classe moyenne " pour plus de liberté civile.

– Éveil politique –

Nombreux étaient les étudiants à brandir des feuilles blanches symbolisant leur rejet de la censure à l’œuvre dans le pays. (AFP)

 

 

Les autorités ont quasi immédiatement fini par abandonner leur stratégie " zéro Covid ", pour apaiser le mécontentement populaire – inédit depuis des décennies – et relancer une économie asphyxiée par les mesures en vigueur depuis bientôt trois ans.

Et bien qu’elles aient parallèlement étouffé les manifestations par l’intermédiaire d’intimidations et d’arrestations, plusieurs observateurs pensent que les graines d’une conscience politique plus large ont été semées parmi les jeunes.

" Je pense que la participation des étudiants est un symbole d’espoir, parce qu’elle suggère que (…) les jeunes ont encore une conscience sociale et un potentiel politique, et sont désireux et capables de changer les circonstances actuelles ", estime auprès de l’AFP un manifestant de Tsinghua.

Depuis le début du XXe siècle, les universités chinoises sont des foyers d’activisme, même si l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping en 2012 a fortement réduit ces mouvements.

Historiquement, outre le rôle central joué en 1989, le mouvement anti-impérialiste du Quatre-Mai lancé par des étudiants de Pékin en 1919 a constitué un éveil politique pour de nombreux futurs dirigeants du Parti communiste.

En 2014, dans la région administrative spéciale chinoise de Hong Kong, qui a longtemps bénéficié de libertés inégalées ailleurs en Chine, les étudiants avaient aussi été aux avant-postes pendant le Mouvement des parapluies, tout comme durant les manifestations de 2019 lorsque l’université polytechnique avait été occupée.

Plus récemment, en 2018, des étudiants militants marxistes ont aidé à organiser des grèves d’usine dans le sud de la Chine, lourdement réprimées.

Et cette année, les images et slogans utilisés par les manifestants sont nés dans des écoles d’art avant de se propager aux universités d’élite.

Traditionnellement, " les étudiants utilisent des installations et autres formes d’art pour s’engager dans des questions politiques sensibles comme la censure en Chine ", analyse le politologue Dali Yang.

Aussi, les connaissances numériques de cette génération et sa capacité à contourner les pare-feux Internet – probablement acquise lors de voyages à l’étranger – font d’elle " le premier moteur des protestations ", confirme Wen-Ti Sung.

– " Dissidence " –

Dans plusieurs villes et universités de Chine, des manifestations d’une ampleur inhabituelle ont fini par éclater, exigeant plus de libertés politiques et la fin des restrictions sanitaires, et ont poussé les autorités à renoncer au " zéro Covid ". (AFP)

 

 

Enseignement en ligne, campus fermés aux étrangers, retards fréquents d’examens et visites à domicile nécessitant une autorisation écrite… les étudiants en Chine ont fait les frais d’une politique sanitaire parmi les plus strictes au monde.

" Rendez-moi ma jeunesse ", pouvait-on lire en novembre sur des cabines d’essayage de l’Académie centrale des beaux-arts de Chine, laissant entrevoir l’ambiance régnant parmi les jeunes, certains confinés sur le campus depuis des mois.

" Ils se sentent tous vraiment tristes et en colère (…) Toutes ces choses bouillonnent depuis longtemps ", avance Ting Guo, professeure adjointe à l’université de Toronto, dans un récent podcast.

La collègue de Mme Guo, Diana Fu, fait valoir, elle, que les manifestations " reflètent un consensus parmi la génération Z selon lequel il est temps d’exprimer sa dissidence ".

" Ils montrent que l’éducation patriotique n’a pas complètement effacé les aspirations à la liberté ", constate-t-elle.

La semaine dernière, des étudiants en médecine de Jiangsu et du Sichuan ont manifesté pour dénoncer des inégalités de salaires et de mauvaises conditions de travail.

Pour l’étudiant de Tsinghua qui a parlé à l’AFP sous couvert d’anonymat, ces manifestations ont eu un impact durable: " Tout le monde a réalisé qu’il pouvait commencer à agir et faire un premier petit pas, et que ce n’était pas si difficile ".

Avec AFP