Un habitant pleurant un proche tué par les bombardements russes à l’est de l’Ukraine.

L’inimaginable a eu lieu. Une guerre qui hérite de la logique de la Guerre froide, voire de celle de la Seconde Guerre mondiale, en pleine Europe, au 21e siècle. Un président venant de l’âge des ténèbres, aux sombres desseins, au langage fielleux et à l’esprit obscur décide de ressusciter les vieux démons du fanatisme et de l’oppression. En annonçant avec lâcheté une " opération militaire " en Ukraine, pour éviter le terme invasion, Vladimir Poutine a révélé au grand jour son esprit haineux et revanchard. La ruée russe sur l’Ukraine a bousculé le monde entier. Elle a perturbé les marchés, semé la panique en Europe, mobilisé des milliers de manifestants pour la paix et la liberté, des Etats-Unis au Liban et semé le désordre dans les chancelleries occidentales. Plusieurs organismes internationaux ont décidé des réunions d’urgence. L’Otan, le Conseil de sécurité, l’UE, l’OSCE, etc. Les dénonciations pleuvaient de tout part, suivies de timides sanctions économiques qui mèneront la vie dure à la population russe sans pour autant déranger les responsables du Kremlin. Comme dans toutes les guerres, ce sont les civils qui payent le plus lourd tribut. Des milliers d’Ukrainiens, 100.000 selon l’UNHCR, errent sur les routes de l’ouest pour trouver refuge ailleurs. A la frontière polonaise, le flux des automobilistes a formé un bouchon de 27 km, alors pour ceux qui n’ont pas les moyens de fuir, sont condamnés à rester sous les bombes, dans des villes en proie aux pénuries de toute sorte. Après le choc face à l’envahisseur, les yeux se sont tournés vers l’Ouest, vers l’Europe et au délà, espérant une intervention inespérée ou une réaction plus ferme face à l’agression. Les Ukrainiens se sentent abandonnés. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a regretté que Kiev se retrouve " laissée seule " face à l’armée russe : " Qui est prêt à combattre avec nous ? Je ne vois personne. Qui est prêt à donner à l’Ukraine la garantie d’une adhésion à l’Otan ? Tout le monde a peur ", a-t-il dénoncé.

Le président Zelensky a indiqué vendredi que des troupes russes s’étaient infiltrées à Kiev, au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par Moscou qui a attaqué le pays notamment près de la capitale ukrainienne. " Nous avons reçu l’information que des groupes de sabotage de l’ennemi sont entrés dans Kiev ", a-t-il indiqué dans une adresse vidéo publiée sur le compte de la présidence ukrainienne, appelant les habitants à la vigilance et au respect du couvre-feu en vigueur. " Je resterai dans la capitale. Ma famille est aussi en Ukraine. Selon des informations en notre possession, l’ennemi m’a identifié comme la cible N°1. Et ma famille comme la cible N°2 ", a-t-il affirmé.

L’armée ukrainienne a sécurisé la zone où se trouve la Présidence et le siège du gouvernement.

Des combats meurtriers entre Russes et Ukrainiens se déroulaient durant la journée de jeudi jusqu’aux portes de Kiev et la centrale nucléaire de Tchernobyl a été prise, à la suite du déclenchement par l’armée de Vladimir Poutine d’une attaque aérienne et terrestre massive contre l’Ukraine à laquelle les Etats-Unis et l’Union européenne ont répliqué par de nouvelles sanctions. Pour éviter une extension de ce conflit à d' "autres pays européens ", contre laquelle a mis en garde le chancelier allemand Olaf Scholz, les forces militaires des Etats de l’Otan ont été placées en état d’alerte et certaines unités vont faire mouvement afin de renforcer les défenses sur le flanc Est. L’Alliance atlantique a convoqué un sommet en visioconférence pour vendredi. Les Etats-Unis défendront " le moindre pouce de territoire de l’Otan ", a assuré dans une allocution le président Joe Biden. Mais ils n’enverront pas de troupes en Ukraine, a-t-il aussitôt précisé. Le Pentagone dépêchera toutefois quelque 7.000 soldats de plus en Allemagne.

La première journée de l’offensive, qualifiée de " succès " par le ministère russe de la Défense, a fait en quelques heures des dizaines de morts, provoquant un tollé dans la communauté internationale, surtout côté occidental.

Joe Biden, pour lequel le maître du Kremlin va devenir " un paria sur la scène internationale ", a ainsi mentionné dans son intervention des restrictions dans les exportations de produits technologiques vers la Russie.  Le numéro deux de l’ambassade russe à Washington a par ailleurs été expulsé et 24 personnes et entités bélarusses ont été punies pour leur implication dans l’invasion de l’Ukraine. Les dirigeants des 27 pays de l’UE ont parallèlement pris des sanctions " massives " contre la Russie dans les secteurs de l’énergie, de la finance et des transports. Moscou a de son côté promis une réplique " sévère " à ces mesures.

 

L’attaque a commencé à l’aube, après que Vladimir Poutine eut reconnu lundi l’indépendance de territoires séparatistes ukrainiens du Donbass. " J’ai pris la décision d’une opération militaire spéciale " ayant pour but " une démilitarisation et une dénazification de l’Ukraine ", a-t-il martelé à la télévision : " Nous n’avons pas dans nos plans une occupation des territoires ukrainiens ". Pour tenter de justifier cette intervention, le président russe a notamment réitéré ses accusations, infondées, d’un " génocide " orchestré par Kiev dans les  " républiques " rebelles prorusses, cité un appel à l’aide des séparatistes et dénoncé la politique " agressive " de l’Otan. La Russie n’avait " aucun autre moyen " de se défendre, a-t-il affirmé devant la presse dans la soirée. Très tôt jeudi, juste après le discours de M. Poutine, des explosions ont retenti à Kiev, la capitale, à Kramatorsk, une ville de l’est qui sert de quartier général à l’armée ukrainienne, à Kharkiv (nord-est), la deuxième ville d’Ukraine, à Odessa, sur la mer Noire, et à Marioupol, le principal port de l’est de ce pays. La centrale de Tchernobyl, théâtre du pire accident nucléaire de l’histoire en 1986, est tombée plus tard aux mains des soldats russes. La Russie a une " supériorité aérienne totale " dans ce conflit, a souligné un responsable du renseignement occidental, selon lequel la Russie veut masser une " force écrasante " autour de Kiev, où un couvre-feu a été imposé.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a de son côté proclamé la loi martiale et ordonné la rupture des relations diplomatiques avec Moscou. Dans la matinée, un membre de son équipe informait que " plus de 40 militaires ukrainiens " et " près de 10 civils " avaient péri. Rien que dans la région d’Odessa, le bilan officiel était de 18 habitants d’un village morts dans des frappes.

En début de soirée, les autorités de la région de Kherson (sud) ont par ailleurs fait état de 13 civils et neuf militaires tués. Et un avion militaire ukrainien s’est écrasé avec 14 personnes à son bord non loin de la capitale. Côté russe, un appareil de transport militaire a subi un sort identique dans l’ouest de la Russie, près de la frontière avec l’Ukraine. Les deux camps faisaient des déclarations invérifiables, mais l’armée russe gagnait du terrain. Dans la région de Kherson, elle était présente dans plusieurs zones et avait notamment désormais le contrôle de Genichesky, une ville à 300 km à l’ouest de la frontière russe.

Des habitants de Kiev faisant la queue devant un distributeur de billets de banque.
Dès les premières heures de la journée, des habitants de Kiev pris de court se sont pressés dans le métro pour s’y abriter ou tenter de quitter la ville, cependant que des voitures remplies de familles fuyant la capitale créaient de vastes bouchons. Certains étaient malgré tout décidés à rester, comme Olena Chevchenko, une employée d’une ONG. " Nous espérons un soutien international ", a-t-elle déclaré à l’AFP. " Je ne pensais pas que cela arriverait de mon vivant ", a confié Olena Kourilo, 52 ans, une éducatrice à Tchougouïv, près de Kharkiv, le visage barré de pansements en raison de blessures causées par une frappe qui a fait au moins un mort, a constaté l’AFP. Sur les grandes routes de l’est de l’Ukraine, l’armée ukrainienne était partout. Un responsable de la défense civile a souligné que les opérations d’évacuation de civils étaient entravées par des tirs d’artillerie nourris et des communications défaillantes. Environ 100.000 personnes ont fui leur foyer en Ukraine et des milliers ont quitté leur pays, a déploré le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR). L’UE s’est quant à elle dite " pleinement préparée " à les accueillir.

Des bouchons se sont formés à la frontière polonaise alors que des milliers d’Ukrainiens fuyaient leur pays.
A Moscou, des Russes exprimaient leur préoccupation, d’autres leur soutien à Vladimir Poutine. " Ca ne me réjouit pas, je suis complètement inquiet ", lâchait Nikita, un manager de 34 ans, disant ne pas savoir " qui a raison ou qui a tort ". Des rassemblements contre la guerre ont eu lieu dans le centre de la capitale, sur la place Pouchkine et la grande rue Tverskaïa, ainsi qu’à Saint-Pétersbourg. Des dizaines de personnes ont été arrêtées, près de 1.400 sur l’ensemble du territoire russe, selon une ONG. Les autorités avaient prévenu qu’elles réprimeraient toute manifestation non autorisée. " Je suis choquée. Mes proches vivent en Ukraine. Que leur dire au téléphone ? +Tenez bon+ ? ", a lancé une manifestante moscovite, Anastassia Nestoulia.

La police russe a procédé à l’arrestation de plusieurs centaines de manifestants anti-guerre à Saint Pétersbourg et à Moscou.
Vladimir Poutine a averti les Occidentaux " qui tenteraient d’interférer " : " Ils doivent savoir que la réponse de la Russie sera immédiate et entraînera des conséquences que vous n’avez encore jamais connues ". La Chine, qui entretient des relations étroites avec Moscou, a pour sa part dit suivre " de près " la situation " et appelé à " la retenue de toutes les parties ". Et le Premier ministre indien Narendra Modi, qui s’est entretenu jeudi au téléphone avec le président russe, a appelé à un " arrêt immédiat de la violence ".

L’offensive russe intervient huit ans après que Moscou a annexé la Crimée et parrainé la prise de contrôle de régions du Donbass par des séparatistes prorusses, déclenchant un conflit régional qui a fait plus de 14.000 morts. Elle a semé la tempête sur les marchés mondiaux, avec chute des Bourses et flambée des cours des matières premières. Le pétrole a notamment franchi les 100 dollars le baril, une première depuis 2014. La Bourse de Moscou a plongé de plus de 35% et le rouble a touché un plus bas historique face au dollar, avant l’intervention de la banque centrale de Russie. La directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, a prévenu que le conflit faisait peser " un important risque économique pour la région et le monde ", au moment où l’économie mondiale tente de se relever de la pandémie de Covid-19.

Avec AFP