L’agenda contre-révolutionnaire de Vladimir Poutine s’explicite dans sa guerre lancée contre l’Ukraine démocratique et indépendante. Pour l’opposant syrien Firas Kontar contacté par Ici Beyrouth, "la stratégie observée à Alep va se répéter dans les villes d’Ukraine". L’OTAN a rejeté la demande ukrainienne de création d’une zone d’exclusion aérienne ce vendredi.

Villes assiégées, hôpitaux bombardés, zones résidentielles ciblées délibérément pour faire plier la résistance. Les tactiques militaires russes employées notamment à Alep en 2016, en appui au régime de Bachar Al-Assad, sont désormais employées en Ukraine, au fur et à mesure de l’invasion russe en territoire ukrainien.

"Fermez le ciel ! Si vous n’avez pas la force de fermer le ciel, alors donnez-moi des avions. Dites-nous combien d’Ukrainiens ont besoin d’être tués pour que vous nous entendiez !". Ces mots du président ukrainien Volodymyr Zelensky, prononcés ce jeudi au cours d’une conférence de presse, rappellent des douloureux souvenirs pour les opposants syriens. " Assad a utilisé des missiles Scud pour détruire les zones urbaines dès l’été 2012 ", rappelle le juriste et opposant Firas Kontar. "On retrouve plusieurs similitudes avec la Syrie, notamment la stratégie de crimes contre l’humanité pour faire plier le pouvoir politique malgré sa capacité de résistance. Comment Zelensky pourrait-il tenir s’il voit les hôpitaux et les zones civiles dévastées ? C’est la stratégie gagnante de Poutine", selon M. Kontar. Ce vendredi 4 mars, le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg a rejeté la création d’une zone d’exclusion aérienne demandée par l’Ukraine.

Cet appel à une " No fly zone " similaire à celle imposée dans le ciel libyen en 2011 par l’OTAN pourrait changer la donne. Ce dispositif avait empêché le dictateur Mouammar Kadhafi de pilonner sa population engagée dans une révolution. En Syrie, cette option n’avait pas eu les faveurs du président Barack Obama, malgré les appels insistants de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton en ce sens. Les arguments avancés par l’administration Obama faisaient mention d’un risque de transfert d’armes anti-aériennes à des groupes terroristes, tandis qu’une " No fly zone " imposée par l’aviation américaine aurait favorisé des groupes hostiles sur le terrain. La conséquence de cette politique immobiliste a eu pour effet un affaiblissement rapide de l’opposition syrienne, au profit de groupes islamistes, de Daesh et de l’armée du régime syrien soutenue ensuite massivement par la Russie.

Dans un tweet publié le 4 mars, la chercheuse du Center for European Policy Analysis (CEPA) Olga Tokariuk estime que "c’est une erreur de penser qu’un soutien de l’OTAN à l’Ukraine serait une provocation pour Poutine. Il réagit justement à la faiblesse, pas à la force. Il n’y avait pas de raison objective pour envahir l’Ukraine. Poutine l’a fait, car il savait que rien ne lui arriverait".

Une bombardement russe sur une zone résidentielle à Tchernihiv a tué 47 personnes ce jeudi. (Photo par Dimitar DILKOFF / AFP)

Politique de terreur

Mais si le régime de Vladimir Poutine entendait mener une campagne éclair pour s’emparer de l’Ukraine sans trop de réactions occidentales, tout montre désormais que ce plan est déjà un échec, au vu de l’envoi d’armes létales à l’armée ukrainienne et des sanctions sans précédent qui commence à frapper l’économie russe ainsi que le premier cercle du régime. Si l’enlisement de l’armée russe se confirme face à la résistance jadis sous-estimée des Ukrainiens, le Kremlin passera à une politique de terreur plus dévastatrice. Pour Firas Kontar, "on voit qu’il y a un changement de stratégie. Poutine pensait prendre Kiev rapidement et faire fuir le gouvernement. Je pense que ce scénario est tombé à l’eau. Il est désormais passé à la méthode Grozny-Alep, en voulant soumettre la population par cette barbarie".

Poutine a-t-il pour autant "perdu la tête" comme certains l’annoncent ? En réalité, l’ex-agent du KGB semble suivre une doctrine et un agenda établi de longue date, sans réaction des démocraties, jusqu’à la guerre actuelle. "Poutine a toujours été dans cette férocité et cette barbarie. On a tendance à oublier les atrocités commises en 2000 en Tchétchénie. Les journalistes assassinés dès son accès au pouvoir, ainsi qu’un président ukrainien victime d’une tentative d’empoisonnement", rappelle l’analyste Firas Kontar.

"Faiblesse occidentale"

"Poutine joue sur la division qu’il incite au sein des responsables politiques occidentaux. Certains disent qu’il ne faut pas ‘entretenir la guerre en Ukraine’ et appellent à un cessez-le-feu. Pendant dix ans, on a regardé les bombes tomber sur les Syriens, en disant qu’il ne fallait pas alimenter la guerre et qu’il fallait négocier avec Poutine. Nous voyons le résultat de ce slogan aujourd’hui : un pays détruit, un million de morts, un tyran toujours en place".

Jeudi 3 mars, après un appel d’une heure trente avec Poutine, le président français a dit craindre le pire, Poutine lui ayant fait part de sa volonté de mener l’opération jusqu’au bout. Le maître du Kremlin profite-t-il d’une certaine faiblesse occidentale ? "Hélas oui, même si le président français appelle à maintenir le canal diplomatique, il a surtout dit que nous ne sommes pas en guerre contre Poutine", rappelle M. Kontar, soulignant que le choix des mots est important : "Je crains qu’on envoie un signal faible à Poutine".

La ville de Kharkiv vit en état de siège et subit de nombreux bombardements russes. (Photo par Dimitar DILKOFF / AFP)

Agenda contre-révolutionnaire

Le "scénario syrien" trouve également un point d’analogie avec l’Ukraine dans la trame narrative développée par Vladimir Poutine, parlant d’opération de "dénazification". Dans son allocation du 3 mars à la télévision russe, il a fait mention de "mercenaires étrangers, y compris du Moyen-Orient" qui se battraient aux côtés des "fascistes" ukrainiens. La rhétorique de la "lutte contre le terrorisme" chère à Assad est ici agitée comme épouvantail auprès de l’opinion publique russe.

La similitude avec la Syrie s’observe dans une tentative d’avorter les mouvements révolutionnaires qui lui sont hostiles, dans la sphère régionale. Le dirigeant russe n’a jamais digéré les manifestations pro-européennes de l’EuroMaidan en 2014. "Poutine s’attaque ici à une révolution et à une démocratie naissante en Ukraine. Son premier objectif est de placer un gouvernement fantoche. Sans oublier que cette offensive intervient après la liquidation de la révolution pro-démocratie au Bélarus voisin, à la solde de Moscou. De même au Kazakshtan en début d’année où l’armée de Poutine a éliminé les opposants. Son premier combat, c’est contre ces peuples qui se soulèvent, c’est ça qui le guide dans son action", analyse Firas Kontar.

"En Europe, nous pensions que jamais Poutine ne ferait la même chose qu’en Syrie près de chez nous. Nous étions nombreux à alerter sur le danger de Poutine depuis la guerre en Syrie. Cette fois, il semble avoir mal calculé la réaction occidentale. Sur 22 ans de gouvernance, Poutine n’a connu que des compromissions. Les Occidentaux doivent aller plus loin aujourd’hui pour empêcher le scénario Alep à Kiev", conclut Firas Kontar.

Alors que Kharkiv est durement frappée et sous état de siège, une frappe russe a fait 47 morts sur une zone résidentielle dans la ville de Tchernihiv, jeudi 3 mars, tandis que la ville de Marioupol (sud-est) se retrouve désormais totalement assiégée. La bataille de Kiev pourrait durer plusieurs semaines, selon les experts militaires.