Alors que l’armée russe et ses alliés s’enlisent face à une résistance acharnée, près de deux semaines après le début de l’invasion de l’Ukraine le 24 février dernier, la mort de deux généraux russes évoquent les déboires logistiques et organisationnels de l' "opération militaire spéciale " lancée par Vladimir Poutine.

Les supérieurs au front

La municipalité de la ville de Novorosiisk, dans le sud de la Russie, a confirmé la semaine dernière que le général Andreï Soukhovetski, commandant adjoint de la 41e armée était mort " en héros " en Ukraine après avoir servi en Syrie en 2018-19. Le général Vitali Gerassimov – à ne pas confondre avec le chef d’état-major russe Valeri Gerassimov – serait lui aussi mort au combat, selon Kiev. " Un autre général deux étoiles a été tué aujourd’hui côté russe, c’est le second en douze jours ", vient de dire de son côté sur CNN le général américain à la retraite Mark Hertling, relevant que l’armée russe commettait " des erreurs à répétition " et " communiquait par des moyens non cryptés ". La Russie semble avoir décidé de placer les supérieurs sur le front, au risque d’essuyer des pertes.

Moscou a pour l’heure démenti le décès de Gerassimov. Une chaîne Telegram pro-Kremlin a affirmé mardi qu’il était " vivant, en bonne forme et assumait ses tâches militaires ". Des rumeurs plus difficiles à vérifier faisaient état ces derniers jours d’autres officiers russes tués, dans une offensive notoirement moins efficace que ce qu’espérait le président Vladimir Poutine. " Cela veut dire qu’il y peut-être besoin que le chef aille devant et s’expose, vu les difficultés ", expliquait dimanche une source militaire à l’AFP. Mais " la guerre moderne, c’est aussi identifier le PC ennemi pour tuer le chef, c’est normal ".

Défis logistiques
Leur présence sur la ligne de front était-elle dûe à un ordre en particulier face à la nécessité d’améliorer la communication entre une chaîne de commandement saturée ? Ces informations confirment à tout le moins les difficultés d’une armée russe sur le papier surpuissante, mais confrontée depuis le début de l’invasion de l’Ukraine à une résistance acharnée et à de multiples difficultés de commandement, de stratégie et de ravitaillement.

L’ex-colonel français Michel Goya, observateur attentif du conflit. Il notait la fréquente accumulation de " trop d’unités à commander (très au-delà de la norme de 5) simultanément par les états-majors d’armée ". Il évoquait en outre la possible " accumulation anarchique des structures de commandement différentes après la succession de réformes " militaires en Russie. Tous les analystes consultés par l’AFP convergeaient vers l’étonnante impréparation de l’armée russe avant l’offensive. Alexander Grinberg, analyste au Jerusalem Institute for Security and Strategy (JISS), relève que si les conditions de la mort de Gerassimov restent encore inconnues, Soukhovetski a été semble-t-il tué par un sniper. " Il a été tué deux jours après l’opération parce que personne n’a vraiment jamais envisagé la guerre " en Russie, a-t-il expliqué à l’AFP. " Ils ont pensé que ce serait une opération de type policier pour mettre un gouvernement loyal à Moscou à la place de Zelensky ", a-t-il ajouté. " C’est impossible qu’un officier de ce rang soit si près des combats ".

Elie Tenenbaum, chercheur de l’Institut français des relations internationales (IFRI), estime pour sa part que la présence sur le terrain de gradés de ce niveau témoigne de ce que Moscou " demande aux généraux d’être en tête de leurs troupes et de prendre des risques " pour compenser une situation morale difficile. " Les forces russes n’ont été prévenues de la nature des opérations que 24 heures avant. Certaines ne l’ont été que jusqu’après être rentrées en Ukraine. Donc il y a un grave problème de confiance vis-à-vis des cadres ", explique-t-il, évoquant des " problèmes de moral des troupes et sans doute de désertion, avec des véhicules abandonnés en rase campagne ". Il invite pour autant à ne pas surestimer l’importance stratégique de ces pertes de généraux. La fonction de Gerassimov, adjoint de la 41e armée, peut être assumée selon lui par des généraux de moindre niveau. " Il ne faut pas se laisser impressionner par l’inflation des grades ", ajoute le chercheur. " Mais ça la fout mal, quand même… ".

Alors que la première action de Moscou en Ukraine en 2014 et son intervention militaire en Syrie avait consolidé l’image d’une armée russe modernisée et organisée, cette réputation semble battue en brèche et renvoît aux déboires organisationnels russes constatés lors de la deuxième guerre d’Ossétie du Sud en 2008 et de la mésaventure tchétchène des années 1990.

AFP