L’organisation terroriste Etat islamique (EI) a nommé son nouveau chef, le troisième depuis sa création remontant à 2006. Ses deux précédents leaders éliminés par les Etats-Unis, l’EI cherche désormais à faire profil-bas. Un objectif : " rester en vie ", selon un expert du dossier.

L’organisation jihadiste a prêté allégeance à son nouveau chef, Abou Hassan al-Hachimi al-Qourachi. Jeudi dernier, l’Etat islamique (EI) a confirmé la mort d’Abou Ibrahim al-Hachimi al-Qourachi, un peu plus d’un mois après l’annonce de son décès par les Etats-Unis dans une opération en Syrie. Le porte-parole du groupe, Abou Omar al-Mouhajir, a fait une déclaration solennelle dans un enregistrement audio publié sur Telegram. Les décès de l’ancien chef de l’EI ainsi que de son précédent porte-parole sont également confirmés dans l’enregistrement.

L’ancien chef de l’EI s’était fait exploser au cours d’une opération des forces spéciales américaines dans le nord-ouest de la Syrie, une région sous le contrôle de jihadistes, a déclaré le président américain Joe Biden le 3 février dernier. Qourachi, originaire de Tal Afar, à 70 kilomètres à l’ouest de Mossoul en Irak, avait pris fin octobre 2019 la tête du groupe après l’élimination de son prédécesseur Abou Bakr al-Baghdadi le même mois.

" Inconnu "

Le nouveau chef de l’organisation radicale sunnite, le troisième du groupe depuis sa création, a jusqu’ici peu fait parler de lui et le communiqué du groupe ne donne pas plus de détails sur son identité.

" Nous ne connaissons tout simplement pas son identité ", a déclaré à l’AFP Tore Hamming, chercheur au King’s College de Londres spécialisé dans l’étude des mouvements jihadistes.

Selon Colin Clarke, directeur de recherche au Soufan Center, un think-tank basé à New-York, l’EI a choisi " un inconnu car le banc s’est considérablement aminci ".

Mais, il ajoute que " le nouvel émir doit être quelqu’un qui peut redonner un élan (…) au groupe ".

L’EI a assuré dans son communiqué que la nomination d’Abou Hassan al-Qourachi en tant que successeur avait été approuvée par Abou Ibrahim avant sa mort, et sa nomination a été confirmée par les dirigeants du groupe.

D’après Damien Ferré, fondateur de l’agence Jihad Analytics, spécialisée dans l’analyse du jihad mondial et dans le cyberespace, le prédécesseur d’Abou Ibrahim avait fait de même.

" Baghdadi avait proposé au Conseil de la Choura (assemblée consultative) qu’Abou Hamza soit son successeur et le Conseil avait entériné ce choix-là ", a expliqué M. Ferré à l’AFP.

" Je pense que c’est la même chose qui s’est passé et que ce choix a été fait tôt pour éviter d’avoir une déstabilisation trop forte du groupe, " a-t-il ajouté.

Le nouveau chef prend les rênes de l’EI au moment où le groupe est affaibli par des offensives successives soutenues par les États-Unis pour contrecarrer une résurgence jihadiste.

" Présence clandestine "

Après une montée en puissance fulgurante en 2014 en Irak et en Syrie voisine et la conquête de vastes territoires, l’EI a vu son " califat " autoproclamé vaciller sous le coup d’offensives successives dans ces deux pays.

Les Forces démocratiques syriennes, dominées par les Kurdes et soutenues par la coalition internationale, avaient vaincu en 2019 l’EI en Syrie en le chassant de son dernier fief de Baghouz dans la province de Deir Ezzor (est).

Mais l’Etat islamique " maintient une présence largement clandestine en Irak et en Syrie et mène une insurrection soutenue de part et d’autre de la frontière entre les deux pays ", selon un rapport de l’ONU publié l’an dernier.

Dans ces deux pays, l’organisation jihadiste conserverait " en tout 10.000 combattants actifs ", d’après ce rapport.

L’élimination d’Abou Ibrahim al-Qourachi en février est intervenue quelques jours après la fin d’un assaut de l’EI contre une prison tenue par les FDS dans la région de Hassaké (nord-est) fin janvier

Plus de 370 personnes ont été tuées dans cette offensive, la plus importante du groupe jihadiste depuis sa défaite territoriale en Syrie en 2019, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH).

La guerre complexe en Syrie, pays morcelé où interviennent différents protagonistes, a fait environ 500.000 morts depuis 2011, d’après l’OSDH.

Dans un entretien acordé à l’AFP, l’expert Hans-Jakob Schindler et directeur de l’ONG Counter-Extremism Project (CEP), estime que l’organisation se porte plutôt bien en dépit du décès de ses chefs successifs mais qu’elle a toujours besoin d’un nom pour fédérer autour de lui.

L’EI doit gérer en deux ans la mort de deux leaders successifs. Comment faire ?

" Regardez Abou Bakr Al-Bagdhadi. Comme un calife doit le faire, il faisait des déclarations tout le temps. Il est mort. (Son successeur, Abou Ibrahim al-Hachimi) Qourachi a fait exactement le contraire, en ne communiquant qu’avec quelques individus. Il est mort. C’est un défi certain de trouver un leader, dont ils ont besoin pour recevoir les allégeances. C’est la seule chose qui connecte l’Afrique de l’Ouest à l’Afrique de l’Est, l’Asie du Sud-Est etc. C’est comme ça que le réseau fonctionne. Sans loyauté (à un leader), vous n’êtes qu’un mouvement islamiste quelque part donc il vous faut ce point focal. Souvenez-vous que ce n’est que longtemps après que les talibans ont admis la mort du Mollah Omar. Pendant des années, son successeur a été parfaitement tranquille. Donc peut-être qu’ils ont voulu suivre ce chemin. Mais ils auraient pu publier un communiqué disant que (l’annonce de sa mort) n’était que mensonge ".

Pourquoi ne l’ont-ils pas fait selon vous ?

" Difficile à dire. J’imagine qu’ils voulaient une personne en chair et en os. Parce que sinon, franchement, qui à part les Américains savent avec certitude que Qourachi est mort ? Je n’ai pas vu de photos et même si j’en avais vu, je n’aurais pu dire si c’était lui ou pas. Ils doivent s’assurer que cela n’arrive pas une troisième fois, c’est sûr ! Tous les chefs de l’organisation l’ont quittée morts et aucun n’est mort de vieillesse (…). La seule explication est qu’ils ont trouvé un moyen de sécuriser cet homme (le nouveau chef). Il peut ne pas être à Idlib et être encore plus discret que Qourachi. Il pourrait même créer un nom de toutes pièces, théoriquement ".

Comment va l’EI aujourd’hui ?

" L’Afrique est une +success story+. Ils y ont de nouvelles provinces. En Afghanistan, ça va très bien. A chaque faux pas des talibans, ils auront de nouveaux membres. Ils ont même attaqué la semaine dernière à Peshawar, hors d’Afghanistan. Ils ont des problèmes en Asie du Sud-Est mais vous pouvez faire de gros dégâts sans avoir besoin de beaucoup de filiales. Vous pouvez mener de petites mais horribles attaques, comme en France. Stratégiquement, l’EI ne va pas mal. C’est un problème que ses chefs continuent de se faire tuer, sans aucun doute, mais il n’y a pas de débat sur le fait que c’est un réseau viable. Il n’y aura de califat nulle part dans un avenir proche, mais en tant que réseau terroriste, ça fonctionne ".

Quelle est la priorité du nouveau leader ?

" Rester vivant ! Sa fonction est d’abord de servir de point focal pour les filiales. Communiquer des déclarations est peu problématique. Vous le faites tous les deux ou trois mois. Mais s’impliquer au niveau opérationnel est très risqué. Cela veut dire communiquer avec les autres et ce n’est alors qu’une question de temps " (avant de se faire tuer, ndlr).

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