L’Allemagne, jusque-là nain militaire, a décidé après l’offensive russe en Ukraine de dépenser 100 milliards d’euros supplémentaires dans son budget de défense. Ce montant considérable devrait contribuer au renforcement de l’Europe de la défense, restée lettre morte depuis plus de deux décennies malgré les différents projets mis sur la table. Si l’Allemagne a acheté des F-35 américains, elle compte aussi investir dans des projets stratégiques franco-allemands ainsi que dans le futur système de combat aérien européen (SCAF). 

 

Les 100 milliards d’euros que l’Allemagne va consacrer à la défense doivent servir à renforcer la coopération européenne, et pas seulement à " de l’achat sur étagères auprès des États-Unis ", estime une chercheuse allemande en relations internationales.

Pour Claudia Major, directrice de recherche à l’Institut allemand pour les relations internationales et la sécurité (SWP) de Berlin, il s’agira notamment de financer le futur avion de combat européen (Scaf), un " projet éminemment politique " mais où la " volonté politique " a semblé faire défaut.

Q: Où en est le projet de fonds spécial de 100 milliards d’euros, à quoi sera-t-il consacré?

R: Le Bundestag doit encore voter la loi sur ce fonds spécial, qui est un peu l’idée d’une loi de programmation militaire. La grande question débattue à Berlin est de s’assurer qu’il soit bien mis sur les rails: la durée de ce fonds, le lien avec le budget de la défense, la liste de projets, l’ancrage dans la Constitution.

La liste des projets correspond à peu près à l’addition de tous ceux promis par l’Allemagne et qu’elle n’a pas réalisés: les avions F-35, les hélicoptères lourds de transport, le futur système de combat aérien (Scaf), le futur char (MGCS). C’est important parce que des critiques en France craignaient un déséquilibre en faveur des produits américains.

Q: Qu’en est-il?

R: Beaucoup en France n’ont retenu que l’achat de F-35 américains. Dans son discours du 27 février, le chancelier Olaf Scholz a annoncé l’achat de F-35 pour assurer le rôle de l’Allemagne dans le partage nucléaire et la dissuasion au sein de l’Otan. Le deuxième élément a été de souligner l’importance de la coopération industrielle franco-allemande et de la base technologique européenne, et de confirmer le Scaf. Et le troisième, c’est de continuer à développer l’Eurofighter pour avoir une version de guerre électronique.

Donc il y a une très claire volonté de ne pas faire seulement de l’achat sur étagères auprès des États-Unis, mais de continuer le soutien pour le franco-allemand et pour la base industrielle européenne.

Pour assurer le rôle nucléaire, le seul avion en ce moment, c’est le F-35. Le Scaf, s’il respecte le calendrier, sera prêt en 2040, probablement un peu plus tard. Il n’y a donc pas de concurrence directe entre le F-35 et le Scaf, l’Allemagne a besoin d’un avion qui puisse remplacer maintenant les Tornado actuellement utilisés et qui sont très vieux.

Q: Quelles sont les perspectives pour les coopérations de défense, en premier lieu sur le Scaf?

R: Un projet fonctionne quand les militaires le veulent ou parce que les politiques le veulent. L’un des deux doit mettre tout son effort dedans. Avec le Scaf, (l’ancienne chancelière Angela) Merkel et Emmanuel Macron, ensuite rejoints par l’Espagne, ont lancé un grand projet mais après cette volonté politique a semblé manquer. Ça ne veut pas dire qu’il a été négligé, mais il n’y avait pas derrière assez de personnes pour le pousser.

Un des problèmes, c’est qu’il a été lancé en 2017 comme un projet éminemment politique, porteur de l’idée de souveraineté européenne dans le domaine industriel. C’était un oui très clair à l’Europe, un non très clair à l’achat américain sur étagères et un non au Royaume-Uni post-Brexit, alors qu’il aurait été le partenaire naturel pour une telle coopération.

Ça veut dire que si cela échoue, ce sera un échec militaire et technologique – on ratera l’occasion d’avoir une base industrielle compétitive et innovante à long terme – mais avant tout un échec politique : que les deux pays moteurs de la coopération européenne n’arrivent pas à se mettre d’accord.

Le Scaf est un projet à propos duquel les Français se plaignent, les Allemands se plaignent – on entend moins l’Espagne. Chacun a l’impression que l’autre en profite plus. On est en 2022, ça fait cinq ans qu’on est sur ce projet, est-ce qu’on est sur un bon chemin pour tenir jusqu’à 2040?

Avec AFP

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