Après avoir montré une résistance farouche durant la guerre des villes, l’armée ukrainienne peine à faire face à l’immense puissance de feu russe au Donbass. Kiev et ses alliés occidentaux redoutaient, en effet, le théâtre des opérations de l’Est qui n’offre que des plaines et des bourgs éparpillés.

C’est dans une configuration géographique semblable que l’armée soviétique avait défait les puissantes et emblématiques " Panzer divisions " hitlériennes lors de la Seconde Guerre mondiale. Le ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kuleba l’a rappelé à ses alliés mercredi à Davos, sans pour autant citer la victoire soviétique de Koursk, considérée comme la plus grande bataille de chars de l’histoire.

M. Kuleba ainsi que le président Zelensky, qui s’est exprimé par visioconférence pour la deuxième fois à Davos, ont adopté un ton peu diplomatique en lançant des critiques à tout vent. M. Zelensky a ainsi dénoncé un manque d' "unité " des pays occidentaux face à la guerre en Ukraine. Le chef de la diplomatie a de son côté accusé l’Otan de ne " strictement rien faire " contre l’invasion de son pays par les Russes.

Le ministre a réclamé urgemment plus de blindés et, surtout, des lance-missiles pour faire face aux " Grad " russes qui sèment la destruction dans le Donbass. La férocité des discours des dirigeants ukrainiens reflétait ainsi une situation militaire " très difficile ", selon les termes du gouverneur de la région où se trouve Severodonetsk, 100.000 âmes, une ville qu’on compare d’ores et déjà à la ville martyre de Marioupol.

G.F.H.

 

" Manque de cohésion des Occidentaux "

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a fait sa seconde apparition vidéo de la semaine mercredi à Davos, cette fois-ci pour dénoncer un manque d' "unité " des pays occidentaux face à la guerre en Ukraine, déplorant le manque de cohésion des Occidentaux face à cette guerre qui vient d’entrer dans son quatrième mois.

" Ma question est: y a-t-il unité en pratique (en Occident, ndlr)? Je ne la vois pas ", avait-il regretté, affirmant avoir " besoin du soutien d’une Europe unie ".

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a fait sa seconde apparition vidéo de la semaine mercredi à Davos

 

" Y a-t-il une unité au sujet de l’adhésion de la Suède et de la Finlande dans l’Otan "? Non. Donc l’Occident est-il uni? Non ", a renchéri M. Zelensky lors d’un petit-déjeuner organisé par l’Ukraine.

" Notre point fort était l’unité au sein du pays, et maintenant ça dépend de l’unité de l’Occident, pour être fort et soutenir fermement l’Ukraine " face à la Russie, a-t-il enchaîné.

" Nous aurons l’avantage sur la Russie quand nous serons tous vraiment unis ", a-t-il encore affirmé.

Le président ukrainien s’est dit une nouvelle fois " reconnaissant " envers Joe Biden, son homologue américain, pour une nouvelle aide financière de 40 milliards de dollars.

 

" Nous avons besoin du soutien d’une Europe unie ", a-t-il toutefois rappelé, fustigeant la position de son homologue hongrois Viktor Orban, réticent à ce stade à imposer un embargo sur le pétrole russe: " Quelque chose ne va pas avec la Hongrie! ", a-t-il lancé.

L’Otan de ne fait " strictement rien "

Le chef de la diplomatie ukrainienne Dmytro Kouleba a accusé mercredi l’Otan de ne " strictement rien faire " contre l’invasion de son pays lancée par la Russie, saluant en revanche les " décisions révolutionnaires " de l’Union européenne.

" Nous voyons l’Otan comme une alliance, comme une institution mise à l’écart et ne faisant strictement rien ", a déclaré M. Kouleba lors du Forum économique mondial se tenant à Davos, en Suisse.

Le chef de la diplomatie ukrainienne Dmytro Kuleba

 

Il a souligné qu’au début de la guerre lancée le 24 février, l’Otan était vue par les Ukrainiens comme " une puissance " et l’UE comme une institution qui ne faisait qu' "exprimer des préoccupations ".  " Mais la guerre a fait tomber les masques ", a-t-il déclaré.

" Nous avons vu des décisions révolutionnaires prises par l’Union européenne, qu’eux-mêmes ne s’attendaient pas à prendre ", s’est-il félicité.

Les aspirations " euro-atlantiques " de l’Ukraine sont inscrites dans la Constitution, mais les autorités présentent désormais comme priorité l’adhésion du pays à l’Union européenne.

 

" Il faut reconnaître " que l’Ukraine ne pourra pas adhérer à l’Otan, avait déclaré le président Volodymyr Zelensky le 15 mars. " Je me réjouis que notre peuple commence à le comprendre et à compter uniquement sur ses forces ".

" Étrangler l’économie russe "

L’Ukraine a aussi appelé la communauté internationale réunie à Davos à " tuer les exportations russes ". " Il existe un autre moyen " de couper les revenus du pétrole, a déclaré M. Kouleba.

" Par exemple, la grande majorité du pétrole russe vendu sur le marché mondial est transportée par voie maritime ", a-t-il expliqué, estimant que ceux qui continuent de le faire devaient être " confrontés à des problèmes ".

 

Il faut que Moscou cesse de " gagner de l’argent et de l’investir dans une machine de guerre qui tue, viole et torture des Ukrainiens ", a lancé le ministre , alors qu’un embargo européen sur le pétrole russe peine à se réaliser.

Le président du Conseil européen Charles Michel a de son côté déclaré qu’il restait " confiant " en un accord sur un embargo de l’UE sur le pétrole russe d’ici au début du Conseil européen lundi, malgré le blocage hongrois.

 

La Commission européenne a par ailleurs présenté des propositions législatives pour faciliter une confiscation des avoirs d’oligarques russes sur liste noire, précisant que 10 milliards d’euros d’avoirs de personnalités sanctionnées avaient été gelés dans l’UE.

Des armes lourdes

L’Ukraine a grandement besoin d’unités mobiles capables d’envoyer plusieurs roquettes simultanément, pour avoir des armes égales face à la puissance de feu de la Russie, a insisté son ministre des Affaires étrangères.

 

" La bataille pour le Donbass ressemble beaucoup aux batailles de la Seconde Guerre mondiale ", a indiqué Dmytro Kuleba aux journalistes après une série de discussions à Davos avec des responsables gouvernementaux et des chefs d’entreprises.

Il a expliqué que " certains villages et villes n’existent plus " dans cette région de l’Ukraine, qui essuie ces derniers jours des bombardements intensifs. " Ils ont été réduits en ruines par les tirs d’artillerie russe, par des systèmes russes de lancement de multiples roquettes. "

La Russie est mieux équipée que l’Ukraine pour un certain nombre d’armes lourdes, mais selon M. Kuleba, le plus grand déséquilibre concerne les lanceurs capables d’envoyer plusieurs roquettes simultanément. Kiev en a demandé à Washington, et c’est " vraiment l’arme dont nous avons grandement besoin ", a assuré le ministre.

" Les pays qui traînent des pieds sur la fourniture d’armes lourdes à l’Ukraine, ils doivent comprendre que chaque journée qu’ils passent à décider, peser différents arguments, des gens sont tués ", a-t-il souligné.

Severodonetsk, la nouvelle Marioupol

Dans le Donbass , ce bassin industriel de l’est de l’Ukraine partiellement sous contrôle de séparatistes prorusses depuis 2014, et où Moscou a recentré son offensive après avoir échoué à prendre Kiev et à faire tomber le pouvoir du président Volodymr Zelensky, les Russes tentent coûte que coûte de resserrer leur étau sur la région de Lougansk.

Les forces russes ont atteint la périphérie de Severodonetsk, ville de 100.000 habitants où la situation est " très difficile ", a annoncé mercredi le gouverneur de la région.

Les forces russes sont " si proches qu’elles peuvent tirer au mortier " sur Severodonetsk, a indiqué sur Telegram Serguiï Gaïdaï, ajoutant que la ville était " tout simplement en train d’être détruite ".

Il a accusé l’armée russe de bombarder la ville à l’aide de lance-roquettes multiples, des armes imprécises et dévastatrices. Selon lui, les bombes visent également l’usine Azot où des civils sont réfugiés, dans une situation qui rappelle le siège de Marioupol, le grand port du sud-est pratiquement détruit par les bombes.

 

Un représentant non nommé des séparatistes prorusses, cité par Interfax, a affirmé que Severodonetsk était " encerclée " de trois côtés et que le seul pont permettant d’en sortir était désormais sous contrôle russe.  L’AFP n’a pas pu vérifier ces affirmations.

Le porte-parole du ministère ukrainien de la Défense, Oleksandre Motouzianyk, a toutefois rejeté toute interprétation défaitiste.

" Dans certaines zones les forces russes ont des succès tactiques temporaires, ce n’est pas un secret. Mais dire que les troupes ukrainiennes reculent est une interprétation totalement fausse ", a-t-il dit aux journalistes, évoquant des " manoeuvres de défense " dans une situation " très évolutive ".

" Tôt ou tard, des contre-offensives auront lieu (…). Nous libèrerons notre terre des occupants russes ", a-t-il promis.

Carte de la situation en Ukraine au 24 mai à 7h GMT – AFP / AFP
Moscou distribue des passeports russes

Sur le front méridional, Moscou s’affaire à consolider son emprise sur les territoires conquis depuis trois mois.

A Marioupol, le déminage et la " démilitarisation " du port sont terminés et il a commencé " à fonctionner de manière régulière ", a déclaré le porte-parole du ministère russe de la Défense, Igor Konachenkov.

La Russie a par ailleurs annoncé qu’elle allait permettre aux habitants des régions de Zaporijjia et de Kherson de demander un passeport russe via " une procédure simplifiée ".

 

L’Ukraine a aussitôt dénoncé une mesure démontrant la volonté de Moscou de mener une annexion pure et simple de ces territoires.

" L’octroi forcé de passeports aux Ukrainiens à Kherson et Zaporijjia est une nouvelle preuve de l’objectif criminel de la guerre de la Russie contre l’Ukraine ", a déclaré dans un communiqué le ministère ukrainien des Affaires étrangères.

Les exportations de blé

Face aux inquiétudes quant à l’incapacité actuelle de l’Ukraine à exporter ses céréales en raison du blocage de ses ports par les Russes, le ministre Kuleba a fait état de discussions de Kiev avec les Nations unies sur la possibilité d’un passage sécurisé à partir du port d’Odessa.

 

Le port devrait être déminé, et Kiev aurait besoin de garanties que sécurité, pour s’assurer que la Russie n’attaque pas le port.

" En fin de compte, toute l’histoire avec ce corridor est une question de confiance envers la Russie ", a résumé le ministre. " Nous travaillons avec les Nations unies pour trouver un moyen de répondre à cette inquiétude sur la sécurité. "

Le ministre britannique de la Défense, Ben Wallace, a appelé mercredi la Russie à " arrêter de voler " les céréales produites par l’Ukraine et à laisser ce pays les exporter, écartant toute levée des sanctions demandée par Moscou pour éviter une crise alimentaire mondiale.

" Arrêter de voler " les céréales!

" Arrêtez de voler les céréales! ", a-t-il lancé à l’adresse de Moscou. " Nous voyons la Russie voler les céréales (ukrainiennes) pour sa propre consommation ", a encore déclaré le ministre britannique.

 

L’Ukraine, gros exportateur de céréales, voit sa production bloquée par les combats, et celle de la Russie, autre puissance céréalière, ne peut être vendue en raison des sanctions touchant les secteurs financiers et logistiques.

" Chantage "

Un haut diplomate russe a exigé mercredi la levée des sanctions visant Moscou comme condition pour éviter la crise alimentaire mondiale qui se dessine. Une déclaration vite dénoncée par Dmytro Kouleba comme un " chantage ". " C’est un chantage manifeste. On ne peut pas trouver un meilleur exemple de chantage dans les relations internationales. Si quelqu’un l’accepte, alors cette personne a un problème ", a-t-il fustigé à Davos.

 

Moscou remboursera sa dette en roubles

Accentuant leur pression sur la Russie, les Etats-Unis ont annoncé mettre fin à une exemption permettant à Moscou de payer ses dettes en dollars. Cette décision pourrait précipiter la Russie dans le défaut de paiement. Moscou remboursera sa dette en roubles, a répliqué le ministère russe des Finances.

 

Au même moment, le président russe Vladimir Poutine était filmé, en blouse blanche, auprès de soldats blessés sur le front ukrainien. Ces hommes " qui risquent leur santé, leur vie pour la population et les enfants du Donbass (est de l’Ukraine, ndlr), pour le bien de la Russie, tous sont des héros ", a-t-il assuré.

Le président russe Vladimir Poutine a tenté de rassurer mercredi sur l’inflation, galopante dans le pays, tout en annonçant une hausse des retraites et des minima sociaux pour amortir la flambée des prix en Russie. Il a par ailleurs indiqué que son gouvernement suit de près le renforcement du rouble, alors que la monnaie russe a atteint en début de semaine son niveau le plus haut depuis le début de l’invasion de l’Ukraine.

Avec AFP