Sélim Nassib est l’auteur de " Tumulte " aux Éditions de l’Olivier

Cela a commencé par une agréable surprise : tiens, on me cite dans L’Orient-Le Jour* ! Et sous la plume de Joséphine Hobeika portant sur votre dernier ouvrage, qui plus est : ma fierté était totale. Déjà, un titre d’article prometteur : " Beyrouth te suivra jusqu’à ton dernier souffle ", reprenant un morceau de phrase tiré d’un de mes articles écrits dans la douleur de l’après 4-août**, " Comment te quitter ? " Et, en conclusion de l’article de Mme Hobeika, la quasi-intégralité de la phrase en question : " Beyrouth te suivra jusqu’à ton dernier souffle, où que tu sois, c’est elle qui te fermera les paupières une dernière fois. " Malheureusement, la suite est une douche froide : " (…) l’avait pourtant prévenu un de ses amis. "

Un de ses amis, en parlant de vos souvenirs d’il y a 40 ans ? Je ne vous connais pourtant pas ! S’agissait-il d’une petite entorse à l’éthique journalistique ? Devais-je en vouloir à Joséphine dont j’admire le talent ? Mais non : Joséphine n’y était pour rien. Elle n’a fait que reprendre un passage de votre livre. Découvrant celui-ci, j’ai eu la stupeur de lire à deux reprises la phrase en question, mais toujours sans la moindre mention du véritable auteur. Au contraire, vous avez joyeusement piétiné toute éthique littéraire pour écrire ce qui suit : " Quelqu’un m’a averti : Beyrouth te suivra, (… etc.) " (p. 224). Et encore en conclusion du livre : " Tu te souviens de l’adage que tu m’as cité un jour : “Beyrouth te suivra, (… etc.)” ? Cet adage, il est pour moi. Toi, juif errant, va ton chemin ! " À la fin du livre, là où l’auteur est supposé montrer le meilleur de lui-même ! C’est très fort.

Alors évidemment, j’en ai parlé sur les médias sociaux, l’arme du pauvre. J’ai envoyé un message à votre éditeur. J’ai commenté sur un de vos postes où apparaît, suprême et arrogante consécration du plagiat, votre livre prêt à la vente avec un beau bandeau rouge promotionnel et… cette même phrase sans mention de son légitime auteur !

J’aurais voulu ne pas avoir à vous écrire cette lettre. Votre récit méritait un parcours sans faute. Nominé au prix André Malraux, il s’apprête à recevoir un accueil public à la mesure de vos efforts. Vous avez coché toutes les cases du succès mais, voyez-vous, il reste ce grain de sable dans les rouages.

En gentleman piqué par mes postes sur Facebook, vous avez fini par me contacter : notre conversation a été plus que cordiale. Vous avez reconnu votre faute et promis de la corriger autant que possible, en m’attribuant publiquement, lors de vos prochaines interventions publiques ou médiatiques, la paternité de cette phrase ; en faisant retirer le bandeau ; en le remplaçant par un autre si possible ; et en ajoutant des remerciements lors des futures réimpressions, à supposer qu’il y en ait dans les circonstances actuelles.

Le surlendemain, je reçois enfin des nouvelles de votre éditeur, à travers un email pour le moins condescendant et qui débute par : " afin de vous être agréable ", avant d’affirmer que le " retrait (du bandeau) ou sa modification entraîneraient des frais considérables de manutention et de fabrication. Nous n’envisageons donc pas d’effectuer de telles opérations. " C’est ce qui s’appelle opposer à une fin de non-recevoir à un petit gêneur.

Pour votre part, vous vous engagez dans un commentaire sur ma page à faire les déclarations promises et à mentionner mon nom " dans toute future réimpression. " Et vous ajoutez quelque chose qui m’a laissé pantois : me reprochant d’avoir dénoncé publiquement votre plagiat, vous écrivez : " Quant à votre poste qui a suscité et alimenté des messages insultants et parfois haineux, il est de votre responsabilité à vous. " C’est l’église qui se moque de la charité !

Ces " commentaires haineux ", comme vous les qualifiez, sont ceux de quelques intervenants dans ce débat qui ont été encore plus que moi choqués par cette spoliation caractérisée et assumée. Ils ne sont pas " haineux ", ils sont parfois moqueurs et ne contiennent aucune menace, ne vous inquiétez donc pas, ces personnes dont certaines appartiennent au cercle littéraire francophone libanais ne sont pas des voyous. Vos craintes ne sont pas fondées, nous ne sommes pas tous cet " Arabe par excellence " savoureusement décrit dans votre ouvrage.

Cher monsieur, vos excuses sont les bienvenues et constituent un baume pour le cœur, mais s’il suffisait à un cambrioleur, tout gentleman fût-il, de présenter ses excuses, les victimes ne retrouveraient jamais la paix de l’âme et encore moins leurs affaires. Sachez que la phrase que vous avez subtilisée et mise dans la bouche d’un de vos personnages est sortie de mes tripes, qu’elle est sortie à un des pires moments de notre histoire, quand Beyrouth venait d’être dévastée par la double explosion du 4 août 2020. Le souffle dont il est fait mention n’est pas un slogan publicitaire, il est ce qui a dévasté notre ville et massacré des innocents, dont de proches amis. Beyrouth qui ferme vos paupières une dernière fois, c’est cette ville en laquelle ces innocents ont eu confiance et qui a fini par les anéantir en allant les chercher " où qu’ils soient ", c’est-à-dire où qu’ils se cachent et jusque dans leurs salles de bains. Elle n’était pas un argument de vente, cette phrase, elle était un cri du cœur noyé dans les larmes, et chaque fois que je la relis, je pleure comme un enfant. Elle est une blessure qui fait mal et qui ne se refermera que lorsque justice sera faite. Tout ceci est devenu, dans votre récit, " l’adage " d’un inconnu, et je trouve cela extrêmement léger.

Réparez votre erreur, cher monsieur, exigez donc de votre glacial éditeur, même s’il vous faut l’indemniser vous-même, car c’est vous qui êtes dans l’erreur, de faire retirer ce bandeau qui constitue une entorse à l’éthique dans la forme et dans le fond. Pour le reste, je laisse votre conscience guider vos actions futures et ne demande que du respect pour ce que peuvent écrire vos compatriotes restés au pays. Plutôt que de piquer ce qui vous intéresse dans nos articles, offrez-nous donc un quart d’heure de gloire.

(*) du 12 septembre 2022
(*) L’Orient-Le Jour du 10 octobre 2020

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