J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt les commentaires au sujet de la première séance parlementaire consacrée à l’élection d’un président de la République. D’aucuns ont jugé que le nom de Michel Moawad a été " grillé ", ce qui, à mon avis, est loin d’être le cas. Il me semble, bien au contraire, que l’étoile de Michel Moawad en est sortie plus brillante. Et ce, pour plusieurs raisons.

Que des partis, des blocs et des députés de l’opposition se soient unis pour soutenir le chef du bloc du Renouveau n’est pas une mince affaire. Ce ralliement presque inattendu autour d’un candidat de l’opposition a fait rejaillir la nostalgie du 14 Mars, lorsque ce camp était à son apogée, avant que les égoïsmes ne contribuent à la dispersion de ses rangs, que l’élan qu’il avait insufflé ne s’affaisse et que les graines des divisions semées par nos adversaires ne l’achèvent.

Indépendant, souverainiste et attaché à la réconciliation inter-chrétienne, Michel Moawad a suivi au fil de son parcours politique une trajectoire ascendante qui ne s’est jamais démentie. Il a ainsi su s’imposer sans jamais céder sur les constantes nationales, inhérentes au camp du 14 Mars dont il est issu, ne concédant rien au Hezbollah et toujours circonspect à son égard. Quand vint le moment de la présenter, sa démission du Parlement, dans la foulée du soulèvement populaire du 17 octobre 2019, s’est inscrite tout naturellement dans le prolongement de cette trajectoire.

Sauf que celle-ci a représenté dans le même temps un nouveau point de départ. Dès sa réélection à la Chambre, Michel Moawad a agi en pionnier de l’effort d’unification de l’opposition. Aussi, l’appui des Forces libanaises, dont le chef, Samir Geagea, se considère pourtant comme un " candidat naturel " de l’opposition à la présidentielle, est-il tout à l’honneur de ce dernier qui s’est efforcé à son tour de convaincre cette même opposition d’unifier ses rangs et de se rallier autour de la candidature du député de Zghorta à la tête de l’État. Si certains ont réagi favorablement à la requête de Samir Geagea, comme on a pu le constater jeudi, d’autres ont malheureusement préféré faire la sourde oreille.

Ne dit-on pas qu’il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ? Cette expression a pris tout son sens jeudi, à la première séance du premier tour électoral. Dans cette Assemblée réunie pour élire un successeur à Michel Aoun, il y avait des " sourds " qui ont troqué leur sens politique pour du populisme à tout crin. Et ce, soit dit en passant, depuis qu’ils ont été élus, voire même bien avant. Ces hommes et femmes qui avaient fait de mauvais choix, ont récidivé jeudi, en votant pour une personnalité que beaucoup d’entre eux ne connaissaient même pas, n’avaient jamais rencontrée, dont ils ignoraient le programme politique et qui, un comble, ne voulait pas être élue. Un vote populiste, décidé de façon totalement arbitraire et précipitée, quelques heures avant la session électorale, de préférence à celle qui aurait consisté à rejoindre l’opposition réelle, aux côtés des FL, des Kataëb, du PSP, du Bloc du renouveau et de quelques indépendants, pour consacrer l’unité de celle-ci et montrer qu’elle est capable de hisser à la tête de l’État une personnalité issue des rangs souverainistes et dont le profil est à l’antipode de celui qui a enfoncé le pays dans des crises inextricables.

D’aucuns peuvent arguer de la liberté de choix de ces parlementaires. Mais ce principe ne devrait-il pas être dicté en premier lieu par les besoins stratégiques d’un pays et d’un État à l’agonie ?

Leur choix électoral renvoie tristement à celui qu’ils s’étaient obstinés à maintenir au lendemain des législatives, en soutenant la nomination du " sauveur ", Nawaf Salam, à la tête du gouvernement, malgré les conditions impossibles que l’homme avait posées à l’époque pour diriger un nouveau gouvernement, et même avant cela, lorsqu’il était question qu’il se présente à Beyrouth II aux législatives de mai 2022. Elle renvoie aussi à leur croyance naïve aux " plans magiques " de Hassane Diab pour une sortie de crise, sans parler de toutes les démonstrations théâtrales à leur actif, de l’affaire des silos, aux étalages de Cynthia (Zarazir) place de l’Étoile ou encore au dernier geste de Paula Yacoubian décrochant son collier à  10 $, sachant que nous ne sommes pas dans l’ex-Union soviétique et qu’elle est libre de porter ce qui lui appartient…

Malheureusement, il n’y avait pas que ces couacs à la séance de jeudi. Le pire était peut-être le vote blanc, cette majorité de bulletins blancs déposés dans l’urne, mais qui, concrètement, poussaient le pays vers un avenir sombre, fait de vacance présidentielle, d’un surcroît d’effondrement économique et de la persistance du détournement par le Hezbollah des décisions politiques et sécuritaires de l’État.

Les auteurs de ce geste avaient été pourtant élus il y a quelques mois à peine, par une majorité d’électeurs assoiffée de changement et de renouveau politique, pour assumer, en son nom, le rôle de décideurs, et non pas pour déposer dans l’urne des bulletins blancs, à une étape cruciale de l’histoire du pays. Parmi ces députés, il s’en trouve même qui veulent encore de Gebran Bassil comme président – sans doute pour parachever la phase de démolition commencée par son beau-père. Beau choix !

Maintenant que le rideau est tombé sur ce simulacre d’élection présidentielle, il ne nous reste plus qu’à dire: Félicitations à Michel Moawad pour les dignes voix qui se sont prononcées en sa faveur.  Félicitations à un homme dont le nom ne saurait être " grillé ", puisque pétri du sang de René Moawad, l’homme d’État qui fut un modèle de rationalité et de modération, le disciple de l’homme intègre et du défenseur des institutions qu’était Fouad Chéhab. Puisse-t-il bientôt atteindre la position politique que son père martyr a atteinte, tout en restant en vie, et faire revivre une patrie à l’agonie.