Comment pourrons-nous décrire la situation que nous vivons aujourd’hui? Malheureusement, tout le monde en fait l’expérience quotidienne, celle de vivre dans une situation navrante, si l’on considère simplement que l’argent des déposants n’est plus accessible. Sa valeur réelle oscille entre 15% et 25% de sa valeur nominale, selon le taux de change du marché noir, ou encore selon les dispositions des circulaires 151 et 158 de la Banque centrale (BDL).

La polémique autour de la récupération de l’argent des déposants est liée à trois parties qui jouent un rôle principal dans ce processus. D’abord l’État, qui a dilapidé cet argent à l’origine, ne compte pas le rendre sauf s’il y est contraint, ou s’il existe une réelle volonté de le faire. Or j’estime qu’aucun de ces deux scénarios n’est envisageable au stade actuel.

Deuxième partie concernée: les banques, qui portent aussi une responsabilité dans leur gestion de l’argent des déposants. Or on sait qu’elles n’ont pas assez de ressources financières pour restituer l’intégralité des dépôts à court terme. Et si, comme certains le préconisent, on va vers la liquidation des banques, on sera alors devant une situation encore plus difficile. Car un tel processus va s’éterniser et ne produira in fine que 10% des sommes dues au maximum, et à long terme.

Troisième partie: le Fonds Monétaire International et autres organismes donateurs. L’expérience historique a montré que notre État avait par le passé dilapidé de telles aides (conférences de Paris 1, 2, 3, Londres, Stockholm, Bruxelles…).

Le FMI préconise en outre la suppression d’une partie des dépôts, surtout parmi les plus grands, car c’est la solution la plus facile pour lui, une solution approuvée d’ailleurs par le Conseil des ministres.

Le FMI n’a pas en réalité explicitement statué sur les dépôts bancaires, mais a demandé la suppression des sommes dues aux banques et déposées à la Banque centrale. Or un tel processus va impliquer, indirectement, la suppression de l’argent des déposants, car l’argent des banques auprès de la BDL est le même que celui des déposants. L’idée du FMI est de libérer la BDL de ses engagements pour qu’elle puisse recouvrer son rôle. Quitte à ce que la perte de l’argent des banques et des déposants soit un dommage collatéral, qui ne sera jamais oublié dans l’Histoire!

En tout état de cause, que ce soit l’argent du FMI (3 à 4 milliards de dollars), ou de la diaspora (5 à 7 milliards par an), il ne sera jamais suffisant pour récupérer tous les dépôts. Seule la reprise de l’activité économique est à même de faire entrer de l’argent frais et récupérer au moins la confiance dans le secteur bancaire, indispensable à toute économie. Heureusement, je crois que la confiance dans le pays existe toujours, mais c’est la confiance dans ses dirigeants qui n’existe plus.

Ce retour de confiance sera aussi conditionné par une feuille de route pour la récupération des dépôts. Mais encore une fois, il faut qu’il y ait une volonté de le faire via des mesures radicales, ce qui semble inexistant jusqu’à présent. On ne voit que de petites mesures intempestives qui ont contribué à légitimer le marché noir et à enfoncer encore plus le pays dans la crise et l’abîme. Il faut dire que ceux qui ont été à l’origine de la crise ne peuvent pas être une partie de la solution.

Et l’on revient au point de départ: ce déposant déjà lésé, et inquiet pour son avenir, qui se demande à quelle sauce il va être mangé dans la suite des évènements.

(*) Fouad Zmokhol est le doyen de la Faculté de Gestion et de Management de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ), et le président du Mouvement International des Entreprises libanaises  (MIDEL).