Des intervenants de toute part se portent volontaires pour analyser ce que les banques souhaitent ou ne souhaitent pas. Il est temps de revenir à la réalité.

 Première théorie:  les banques refusent un " contrôle de capitaux ", pour pouvoir continuer à transférer des fonds à l’étranger.

La réalité: tout transfert futur à l’étranger est préjudiciable pour les banques, car leur évaluation par les autorités monétaires libanaises et les organismes internationaux dépend justement de leurs avoirs liquides en devises étrangères. Tout transfert à l’étranger va réduire le montant de ces avoirs. Ce qui réfute cette théorie.

Deuxième théorie: les banques rejettent le projet de loi sur le contrôle de capitaux, car la plupart seront incapables de verser 1.000 dollars par mois aux déposants, comme le prévoit le texte.

La réalité: certaines banques auraient effectivement des difficultés à satisfaire cette condition, mais la majorité des banques sont au moins capables de se conformer à la circulaire 158 (400 dollars frais, dont la moitié est assurée par la BDL, et 400 dollars en livres).

Troisième théorie: les banques qui soutiennent le projet de loi sur le contrôle de capitaux le font uniquement pour se protéger contre les procès judiciaires.

La réalité:  les procès qui aboutissent vraiment concernent les riches déposants résidents à l’étranger. De sorte qu’ils contribuent à assécher la liquidité des banques en leur faveur et au détriment des petits déposants, ce qui est loin d’être équitable. On peut même dire qu’en réalité, ce sont des procès intentés par de gros déposants contre les petits, et non pas contre les banques.

Quatrième théorie: les banques n’ont pas intérêt à voir la loi sur la restructuration bancaire aboutir, car elles préfèrent faire durer la situation présente pour se dégager graduellement des dépôts.

La réalité: la baisse des dépôts en devises, estimée à 27 milliards de dollars depuis le début de la crise, est due au remboursement des crédits, par chèques ou transferts. De sorte que ces crédits ne représentent plus que 12 milliards de dollars actuellement. Et toute baisse future du montant des dépôts ne sera que le résultat des retraits, qui ne représentent que deux ou trois milliards de dollars annuellement. Ce qui fait que l’amortissement des dépôts restants ne serait réalisé que dans 30 ans! Or les banques ne peuvent se permettre ce luxe d’attendre aussi longtemps, alors que leurs activités normales sont en suspens et qu’elles sont en train de subir des pertes annuelles.

Cinquième théorie: ponctionner les dépôts (selon les projets de redressement prônés par l’État) allège les engagements financiers supportés par les banques.

La réalité: toute ponction future sur les dépôts serait motivée en fait par la volonté de l’État de se décharger de ses engagements financiers envers les banques. On sera alors dans une situation semblable à l’actuelle, où l’État assiste en simple spectateur à la confrontation entre les banques et les déposants. C’est comme si un conducteur écervelé provoquait un carambolage, puis s’enfuyait et assistait de loin à la scène, arbitrant les responsabilités et guidant les ambulances…

Sixième théorie: le " fonds de récupération des dépôts " (proposé à un moment donné) est la solution idéale pour les banques.

La réalité: les banques perçoivent un tel fonds comme une des solutions possibles, mais à condition qu’elles ne finissent pas par supporter l’essentiel du financement de ce fonds, alors que l’État s’en décharge ou lance des promesses basées sur des revenus hypothétiques futurs. L’État a dilapidé 62 milliards de dollars sur les 73 milliards du déficit financier, et il doit par conséquent contribuer dans la même proportion, par de multiples moyens. Les lois en vigueur sont d’ailleurs claires, stipulant que c’est à l’État de couvrir les pertes de la Banque centrale.

Septième théorie: la solution devra concerner comme point de départ le secteur bancaire. Tout le reste suivra naturellement.

La réalité: on revient ici à la question de base: " Comment l’argent des déposants a-t-il été perdu? " La réforme du secteur bancaire n’est qu’une partie de la solution, et ne peut aboutir à un résultat en l’absence d’une réforme radicale du secteur public. L’État a utilisé l’argent du secteur privé pour financer sa corruption. Si, par miracle, le secteur bancaire redevient à court terme amplement liquide, le secteur public va de nouveau saigner tout ce qui aura été injecté en l’absence d’un changement radical de gouvernance. Ceci n’est plus acceptable, ni pour les banques, ni pour les déposants.

Huitième théorie: les banques entravent l’adoption de toute solution ou de tout plan de redressement.

La réalité: ni les banques, ni le gouvernement, ni la Banque centrale ne sont capables de faire passer ou d’entraver quoi que ce soit, car c’est le Parlement qui a le pouvoir ultime de décision.

Neuvième théorie: les fonds qui seront octroyés par le FMI ne seront pas suffisants.

La réalité: un accord avec le FMI ouvrira la porte à des contributions diverses, provenant d’autres organismes, ainsi que de pays occidentaux et arabes, sachant que les pays du Golfe ont aussi leurs conditions politiques propres bien connues. L’importance d’un accord avec le FMI réside dans la somme des réformes qui doivent être mises en œuvre pour éradiquer la corruption et la dilapidation dans le secteur public, en plus d’un arrêt de la contrebande à travers les frontières.

* Fadi Khalaf est le secrétaire général de l’Association des banques au Liban.