Combattant invétéré de la cause libanaise, mentor ou " malfono " en syriaque comme on aimait l’appeler, homme d’exception dont l’humilité extrême faisait rougir les pédants et les arrivistes, Mikhaïl Awwad était un inspirateur de plusieurs générations de Libanais qui puisaient à sa source des connaissances inépuisables allant de la musique classique en passant par la philosophie, la littérature, l’astrophysique, la cinématographie, la théologie ou l’histoire. Il nous a quittés à la veille du Nouvel an pour clôturer une année libanaise bien triste.

C’est un exercice ardu de parler de ce maître à penser pour des générations de résistants pour la Cause libanaise et chrétienne. Mikhaïl Awwad, nommé Makhoul par ses amis, avait un savoir encyclopédique presque aristotélicien qu’il partageait avec tous ceux qui l’ont connu. Esprit érudit et polyglotte, il est né à Hasroun dans les années 60 du siècle dernier. Et c’est dans ce village perché sur la vallée sainte de la Qadisha qu’il a lu la Bible en syriaque à l’âge de dix ans et qu’il a traduit à douze ans Kant en arabe pour son père, Rachid Awwad, un notable de la région du Nord.

Enfant, il se promenait à Tripoli avec sa famille à Noël et ses étrennes furent les livres achetés chez les bouquinistes de la capitale du Nord, au moment où les autres enfants réclamaient jouets et friandises. Makhoul demeura un enfant qui se délectait de livres, qui " s’empiffrait " de savoir car pour lui, nulle résistance n’existe sans culture et nulle cause ne triomphe si elle n’est pas spirituelle. Il a gardé un regard émerveillé presque pudique et enfantin tout au long de sa vie. Jusqu’à ses derniers jours éprouvés par la douleur de la maladie, il écoutait Wagner, son compositeur préféré et presque idéalisé avec extase et chérissait particulièrement son opéra Parsifal.

Makhoul était le Parsifal des Forces libanaises et de la lutte patriotique transversale, dépassant clivages religieux et doctrinaires. Esprit brillant, faisant fi des opportunistes et des arrivistes avides de pouvoir, il fut le chevalier " pur " qui sauva à multiples reprises le Saint Graal de la cause libanaise. Le Parsifal de la résistance qui mena une existence pleine, au sens heideggerien du terme. Le Dasein du philosophe allemand fut pleinement concrétisé dans la vie de Makhoul. Il " était là ", sur les fronts du Nord à organiser la résistance culturelle de combattants souvent abattus par la cruauté d’une guerre civile sans merci, comme en témoigne son compagnon de route l’ex-député Elie Keyrouz.

Il est le fondateur de l’école de la résistance chrétienne politique et intellectuelle. Qnat, la caserne de Qottara, Fidar et finalement le bureau de formation intellectuelle de Tabarja témoignent encore des prouesses que Makhoul a accomplies en essaimant livres et films, opéras et poésie dans les milieux d’une jeunesse démoralisée et persécutée sous l’occupation syrienne. Héros du 7 août 2000, il fut interrompu le jour-même de ces exactions et avanies, lors de l’une de ses conférences secrètes à Antélias avec l’actuel député Antoine Habchi et fut séquestré et torturé dans les geôles du ministère de la Défense, tenu alors par le système sécuritaire stalinien du régime syrien.

Mais véritable Périclès qu’il fut, il érigea une Acropole inébranlable comme en Grèce antique, ayant pour devise " Courage et culture ". Dans sa cellule, il eut raison de la terreur des officiers syriens en alliant réflexions, foi et témérité. Le christocentrisme dans la Vie de Makhoul jouxté à une vision heideggerienne convaincue faisant de l’Homme une ontologie en soi, ayant un rapport " d’être à son être ", le rendit un gladiateur redoutable dans les arènes de prédateurs déchaînés.

Esprit impavide et, peaufinant ses analyses et sa vision d’un Liban souverain, libre et surtout fidèle à son histoire, il résista jusqu’à ce que justice soit faite à Dr Samir Geagea. Son triomphe et celui de ses camarades fut pondéré et sans fracas comme celui des évadés du Shawshank, film culte de Frank Darabont qu’affectionnait particulièrement Makhoul. L’aventure qui les attendait après cette libération fut d’une autre nature. Un hydre de Lerne tentaculaire se nourrissait alors de terrorisme et de prévarications étatiques. Les épreuves furent pénibles surtout quand Makhoul apprit l’assassinat de Mohammad Chatah qu’il avait prévenu des risques qu’il encourait en publiant sa lettre à Rouhani dans le Wall Street Journal.

Loin de se décourager, il continua sa lutte de malfono. Croyant, à la discipline d’un moine sans bure, chevalier intrépide sans armure, il insuffla du dynamisme dans les campagnes législatives du parti des Forces libanaises et prêcha inlassablement cette vision de la foi en action, du fides et ratio du pape Jean-Paul II, sans prétention, sans se prendre au sérieux.

Makhoul, comme un Socrate, n’a pas écrit. Pire, il a demandé qu’on brûle ses analyses de Heidegger, ses textes exégétiques de la Bible, ses critiques de Karl Barth et ses analyses du " Juste souffrant " dans le Livre de Job. La souffrance était la toile de fond de la vie de Makhoul. Être souffrant mais aussi " Honnête homme " tel que défini au XVIIe siècle par les Classiques, il a gardé dans sa bibliothèque colossale ses échanges avec Ricoeur et René Girard. Ce dernier fut impressionné par l’esprit critique de l’enfant de Hasroun, comme en témoigne un ami proche de Makhoul. Et s’il fallait donner un titre au parcours de cet homme hors pair, comment ne pas penser au titre d’un de ses maîtres à penser, Georges Steiner: Les livres que je n’ai pas écrits. Ces livres que nous écrirons, non sans faire pâle figure face à Mikhaïl Rachid Awwad.

Maya Khadra

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