Quiétude. Placidité. Le marchand de sable n’a pas encore quitté la rue Metni. Quartier Mousseitbeh ensommeillé. Le soleil se lève timidement. Le marchand de sable fait dès lors son baluchon. Le brouhaha de la rue s’ébroue de ses rêves de la veille. Un va-et-vient s’entame. Le vertige auquel la vie nous convie se creuse en loucedé.

C’est la levée de rideau.

Une fourmilière formée de marchands de quatre saisons tintamarresque, une légion de voitures klaxonnant à tout casser sans raison apparente, des vendeurs de poulets qu’on égorge devant vous pendant que se forme un cercle de foule similaire à une arène romaine. On applaudit à tout va. On s’écarte pour ne pas s’éclabousser de sang chaud, on fait deux pas de côté pour ne pas moucheter nos chaussures de sang frais. On chasse dehors les enfants que leurs mères incitent à conquérir les rues le temps qu’elles passent la serpillière sans les avoir entre les jambes qu’elles avaient fort probables ouvertes la veille à leurs maris. Une cacophonie s’élève à l’enseigne du Requiem de Mozart. Apogée. Paroxysme.

Chute.

Une porte en fer forgé. Une entrée accueillante. Persiennes vertes. Garde-fous pour ne pas tomber dans le vide béant de l’existence. Immeuble occupé en grande partie par des syriaques qui se la coulent douce parce que l’Histoire leur a fait déjà bouffer des poires d’angoisse. Nous étions au premier étage. On avait une vue de première loge sur la rue. Quel joli nom qu’est celui de la "rue". Il revêt dans ses plis des découvertes de piécettes, des rixes, des écorchures aux genoux dont la brûlure sera apaisée par l’application du mercurochrome, des billes qui roulent en caracolant sur un macadam dénivelé, le jeu de chat perché qui nous essoufflait, celui de cache-cache qui nous gardait à l’ombre avec la crainte dans le ventre d’être dénichés, sans omettre le jeu de la marelle avec le pavé qu’on poussait délicatement d’une case à l’autre tout en maintenant notre équilibre sur une seule jambe, nous, les enfants, dont on ne savait plus sur quel pied danser avec nos parents parfois despotiques et iniques, car ils avaient oublié qu’ils étaient un jour des enfants eux-mêmes.

C’est samedi. Pas d’école. Pas de despotisme scolaire. Pas de Madame Joséphine avec sa mouche hérissée de poils sur le menton. Rien que la chaleur familiale. Petit-déjeuner: foul, de quoi vous poussez à jeûner deux jours au bas mot tout en vous soutenant le ventre gonflé comme une outre devant la salle de bain déjà occupée par quelqu’un d’autre depuis quinze minutes.

Il s’appelait Abou Abdallah. Je n’ai jamais su son prénom. Sauf qu’il est le père d’un certain Abdallah. Son arbre généalogique m’intéressait peu. Je lui posai souvent la question qu’il chassait du revers de la main comme une mouche enquiquinante. Il ouvrait à l’heure bleue. Je me tenais face à son comptoir derrière lequel je lui tendais mon conteneur que je concluais avec un "s’il vous plait". Il s’activait à la sueur de son front à nous servir le meilleur foul du quartier parce qu’il était, au fait, le seul foueil dans les environs. Il se fourrageait les attributs de procréation à une cadence répétitive et familière.

Une pincette de sel par-ci. Une louchée de pois chiche par-là qu’il battait avec assiduité. L’exhalaison de l’ail trouvait son chemin aisément vers mes narines sensibles à toute forme de boustifaille aussi vulgaire qu’elle paraissait. Moi, entretemps, je souriais tout en ravalant ma salive. Je l’observais. J’admirais sa facilité à métamorphoser une légumineuse en un plat démocratisé à outrance. Il avait une dextérité enviable à plonger la louche dans la grande marmite en étain pour dégorger son contenu de foul dans mon contenant. La vapeur qui s’y dégageait m’embuait la vue que je la dissipais en la balayant de la main.

Sur le chemin de retour, je sautais d’une jambe à l’autre comme un écolier qui vient de passer le baccalauréat ou faire l’école buissonnière.

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