Dans quelle mesure le Droit international comprend-il que le Liban puisse être sous occupation iranienne, ne fut-ce que par entité interposée ? 

Pour décrire l’influence grandissante, notamment politique, du groupe armé non- étatique transnational qu’est le Hezbollah, on observe actuellement au Liban la multiplication de l’emploi, dans la sphère politique et médiatique souverainiste, notamment celle issue de l’ex- 14 Mars, du terme " occupation " iranienne du Liban. Dans un souci de précision terminologique, et afin de sortir le débat actuel des approximations conceptuelles du discours politique ainsi que des clivages discursifs partisans, un point de vue juridique s’impose. Le Liban est-il sous occupation iranienne au regard du droit international ?

Pour y répondre, cela nécessiterait une étude approfondie de plusieurs pages. Mais nous allons tenter de résumer le sujet en quelques lignes.

Les enjeux de la question ne sont pas minimes. L’applicabilité du régime juridique de l’occupation militaire en dépend. En effet, le droit de l’occupation militaire, dont trois instruments juridiques contiennent principalement les fondements conventionnels (Règlement annexé à la IVe Convention de La Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, la IVe Convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et le Protocole additionnel I de 1977 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux), vise à équilibrer entre, d’une part, la protection qu’il fournit aux populations civiles du territoire occupé et, d’autre part, les besoins – notamment de sécurité – de la force d’occupation. Pour cela, tout en prohibant le transfert de souveraineté à la force occupante, le droit international lui reconnait certaines prérogatives dans le territoire qu’elle occupe.

Pour parler d’" occupation " iranienne du Liban, et à défaut de présence militaire iranienne directe dans ce pays, les souverainistes libanais recourent en réalité – et probablement sans en être parfaitement conscients -, à la théorie juridique de l’occupation par entité interposée (le Hezbollah). Or à la lumière des trois instruments conventionnels susmentionnés, la théorie – assez controversée – de l’occupation par entité interposée (ou la notion de contrôle effectif indirect) semble souffrir de plusieurs fragilités.

Certes, il est indéniable que l’Iran exerce un contrôle global, voire parfois effectif, sur le Hezbollah. Mais la majorité de la doctrine, ainsi que la jurisprudence internationale – notamment le Tribunal pénal pour l’ex- Yougoslavie (TPIY) dans l’affaire Naletilić (Jugement du 31 Mars 2003), et la Cour internationale de Justice (CIJ) dans l’Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (arrêt du 19 Décembre 2005) – semblent rejeter la notion d’occupation par personne interposée, dite aussi occupation à distance, ou occupation longa manu. Cette notion souffre de plusieurs failles qui la rendent contraire aux fondements du droit de l’occupation. En effet, la capacité d’un occupant d’imposer son autorité ne peut être dissociée de sa présence physique dans le territoire soumis à son contrôle. De plus, pour qu’il y ait occupation, il faut qu’il existe une différence de nationalité entre les habitants, d’une part, et les forces intervenantes et exerçant le pouvoir sur ces habitants, d’autre part.

A la lumière de ce qui précède, la nationalité libanaise des membres du Hezbollah est ainsi de nature à poser une sérieuse entrave à la possibilité de retenir une occupation iranienne du Liban ; faille qui s’ajoute à l’absence directe de forces iraniennes sur le territoire libanais.

De toute façon, même dans l’hypothèse – que nous venons cependant de réfuter – où la théorie de l’occupation par personne interposée était admise et applicable, il n’en demeurerait pas moins qu’il est difficile de retenir la qualification d’occupation iranienne du Liban parce qu’il lui manque un élément essentiel dans toute occupation, à savoir : la substitution de l’autorité de la force occupante à celle de l’Etat dont le territoire est occupé.

En effet, se basant sur l’article 42 du Règlement de La Haye, qui reste le seul texte conventionnel définissant l’occupation, une large partie de la doctrine, des manuels militaires dans le monde, ainsi que la jurisprudence internationale, retiennent l’autorité effective de la force occupante comme condition indispensable de l’occupation. Plusieurs critères peuvent constituer des repères utiles pour établir l’existence d’une telle autorité, notamment le fait que la puissance occupante soit en mesure de substituer sa propre autorité à celle de l’Etat dont le territoire est occupé, désormais incapable de fonctionner publiquement.

Or les différents rapports du Secrétaire général de l’ONU relatifs à l’application des Résolutions 1559 et 1701 révèlent qu’il existe un rapport concurrentiel, mais non substitutif, entre l’autorité du Hezbollah et celle de l’État libanais ; l’État libanais conservant, malgré tout, une partie considérable de son autorité.

Pour toutes les raisons susmentionnées, il serait contreproductif d’accorder – non sans une certaine note défaitiste -, ne serait- ce que verbalement, au Hezbollah ce qu’il n’a pas pu effectivement réaliser depuis 1983, c’est-à-dire de lui reconnaître, en parlant d’"occupation" iranienne du Liban, une autorité plus grande qu’il ne détient vraiment, pouvant se substituer à celle de l’État libanais. Rejeter la qualification d’" occupation " iranienne du Liban équivaut ainsi à refuser de faussement octroyer au Hezbollah des prérogatives (reconnues à la Puissance occupante par les différents instruments conventionnels qui régissent l’occupation) nettement plus considérables que celles que le Hezbollah doit ou peut réellement exercer.

Il en va du respect même du mouvement souverainiste, ainsi que de sa lutte pour la souveraineté de l’Etat libanais.

Sagi Sinno
Juriste spécialisé en droit international- Paris

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