Ma page reste blanche et ce n’est pas de l’angoisse qui m’étreint, mais une grande tristesse. Quels mots pour lui rendre hommage, lui rendre justice?

Sur la pointe des pieds, dans la plus grande discrétion, un homme qui était feu follet s’en est allé.

Pour le grand public il était le Professeur. Celui qui sur les plateaux de télévision, et malgré son propre combat, s’est évertué à informer pour combattre la couronne qui de ses spikes s’acharnait à dégonfler notre société de surconsommation. Par son calme, son humour et sa confiance, il a été l’incarnation efficace du "la da3i lil hala3".

Pour ses élèves, dont je fais partie, il a été le Maître, dans le sens grec du terme. Celui qui possédait la science et la sagesse, et qui s’est évertué à les transmettre. Il faudrait l’avoir connu, dans les couloirs froids et aseptisés de l’Hôtel Dieu, à des heures indues où la ville et les patients dormaient. Éreintés par les longues journées, externes, internes et résidents ne pensaient qu’à regagner leur quartier. Il débarquait trépidant, débordant d’énergie, boucles sautillant et regard pétillant derrière ses lunettes rondes qu’il remontait machinalement. Le marathon commençait alors dans l’hôpital assoupi, de service en service, de lit en lit, il mitraillait de questions les externes terrorisés, corrigeait les internes appliqués et concertait avec les résidents assurés. Toujours avec cette bienveillance et cette note d’humour qui étaient si typiquement lui qu’elles faisaient tout passer. Il se penchait sur ses patients avec attention et tendresse, les examinait de tête en pieds, auscultait, palpait, scrutait à la recherche du plus petit indice qui lui ouvrirait la porte du rébus. Il se penchait sur des cas, mais il cherchait les hommes et les femmes derrière et leur tenait la main jusqu’au bout de leur combat. Il entrait dans leur vie docteur, mais quand il en sortait, il était Roy…

Son dada était l’infiniment petit, ces bestioles invisibles, complexes et terribles. La couronne n’était qu’un jalon dans son parcours de combattant. Dans les années 80, il avait affronté le sida avec la même détermination et la même conviction. Même pas peur. Et il a accompagné ses patients dans leur long chemin de croix avec la sérénité de celui qui savait qu’il aurait le dernier mot.

Dans un monde qui tendait à se surspécialiser, il avait une curiosité polyvalente et une mémoire phénoménale qui lui permettaient de rebondir sur tous les sujets qu’on lui proposait et qui faisaient de lui un interlocuteur remarquable.

À sa femme et ses enfants, je ne saurais quoi dire… Je sais l’étendue des sacrifices consentis, l’absence de vie privée rendue encore plus compliquée par l’arrivée des nouvelles technologies, l’absence tout court dans leur vie quotidienne de cet homme qui était pourtant présence. Il avait eu la chance de découvrir sa passion et de pouvoir la vivre pleinement. Il est entré en médecine comme on entre dans les ordres. Sacerdoce total au service des autres. Mais il n’aurait jamais été aussi bon, aussi lui, s’il n’avait pas eu ce socle familial. À eux qui ont subi le poids de cette vie dédiée aux autres, merci… et pardon.

Aujourd’hui les hommages pleuvent, et lui, si discret, fait la une, lui qui la mérite mieux que tous les abrutis inutiles qui nous assomment de leur maigre savoir et de leurs blablas inutiles.

Lundi de Pâques… Entrez dans la Lumière du Seigneur cher docteur Nasnas… car il vous a été donné et vous avez rayonné…

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