J’ai pris l’habitude de boire mon café dans une petite brasserie, toujours la même, pas une autre, à deux pas du soi-disant « chez-moi ». Ce besoin de prendre des habitudes m’a envahi d’un coup depuis que Beyrouth m’a quittée. Les rengaines, les refrains, les plis, tous genres de répétitions me procurent un sentiment de sécurité, d’attachement à quelque chose, calment mon tempérament métamorphosé depuis la déchirure bestiale du 4 août.


C’est au Diplomate, chez Bernard, un sexagénaire du Nord, accueillant, chaleureux et qui adore papoter, que je me déconnecte de mon monde intérieur. Le café servi, ma cigarette roulée prête à brûler et rendre son dernier souffle, j’ouvre grand mes ailes pour plonger dans un univers qui ne m’appartient pas, celui de l’infortuné du jour, mon voisin de table. Je passe mon heure à regarder les autres, à imaginer ce qu’ils se racontent, ou j’essaie – le plus souvent, pour rester honnête – de tendre l’oreille. Je suis curieuse de nature, je ne le cache pas. La vie des autres me passionne, ce qui explique ma passion aussi pour les biographies que je dévore à satiété. J’apprends " les choses de la vie " beaucoup plus en lisant les biographies des uns et des autres qu’en lisant des romans et, encore mieux, en écoutant les autres, souvent à leur insu. Je prends plaisir à déceler les émotions sur des visages.

Chez Bernard, j’en vois de toutes les couleurs, j’écoute tous genres d’histoires : je tente à chaque fois de juguler mon extase face aux scènes qui se présentent à moi en prenant un air aussi détaché que naturel, mais Bernard réussit toujours à deviner ce qui se trame en moi et me le fait comprendre en me lançant un sourire complice.

" Mais Marie allez, bois vite ton verre s’il te plaît ! Il ne nous reste que deux heures de temps avant qu’Enzo ne rentre du collège… Il faut bien en profiter ma belle, j’ai hâte d’être en… " Il se tait à l’arrivée de Bernard qui lui tend l’addition. Elle, elle sourit grand et ses yeux brillent de mille étoiles. Son autre main libre disparaît furtivement sous la table pour se poser en douceur sur la jambe de son compagnon croisant la sienne, un geste pour confirmer son consentement. Elle aussi a les jambes entrouvertes, une sorte d’invitation irrépressible se dégage de sa posture et traduit son engouement pour ce voyage à venir.

J’ai immédiatement ressenti le désir qui les unit, cette urgence de s’imprégner du corps de l’autre. C’est beau à voir. Plus excitant je trouve qu’un couple qui s’embrasse. Un petit peu comme le voyeurisme et le porno, l’un suscite l’imagination alors que l’autre est cru et tend parfois à croupir la libido.

Le quotidien est insipide sans amour, sans échanges tactiles surtout. Nous avons tous en nous cette envie de plaire ou de séduire, de nous ouvrir à l’autre, à la personne qu’on aime et qui nous fait vibrer. J’ai depuis toujours eu un faible pour la langue française que je trouve sensuelle. On " s’ouvre à " l’autre lorsqu’on aime ou on désire, aussi bien moralement que physiquement. Le cœur s’ouvre et les jambes se décroisent. Tout comme la bouche qui s’entrouvre pour ingurgiter des aliments et se rassasier. Tout comme la tête s’ouvre pour s’approprier des connaissances et les oreilles pour accueillir des paroles. Tout comme les yeux s’ouvrent pour embrasser la lumière. Et elle, Marie, se presse de finir son verre de vin rouge pour s’ouvrir à son homme, être prise à l’instant où ils se retrouveront chez eux.

Il existe toutes sortes de relations amoureuses : les plus fortes ou les plus durables dans le temps sont celles où l’alchimie physique tient les rênes. Les couples dont les chairs s’appellent dépassent les problèmes du quotidien par leur corps-à-corps, par une jouissance à l’état pur. Cet appel fiévreux des corps rappelle la vie. Et l’appelle.

Faire l’amour ? Baiser ? Forniquer ? Attribuer à cet acte le verbe que vous désirez, qu’importe. L’essentiel c’est qu’il existe. Tout court.

 

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