La levée partielle des subventions sur les médicaments des maladies chroniques, entrée en vigueur le 11 novembre dernier, a ouvert au Liban une nouvelle boîte de Pandore alors qu’un effondrement économique et institutionnel sans précédent ébranle le pays. Ici Beyrouth a mené une enquête sur ce sujet en passant cette décision et ses répercussions sur la santé publique à la loupe. Les résultats obtenus, à la suite de ces investigations, feront l’objet d’une série de quatre articles. Dans ce deuxième article, des éléments de réponses relatifs à la nouvelle tarification ont été recueillis auprès de responsables concernés.

Assailli par une grave crise économique, classée par la Banque mondiale parmi les pires crises au monde depuis 1850, le Liban frise, jour après jour, la catastrophe sanitaire. Dans le premier article de cette série, une panoplie de questions critiques avait été soulevée, mettant en exergue une multitude d’incohérences dans la nouvelle tarification des médicaments princeps et génériques du ministère de la Santé. Des questions qui nécessitent, au plus tôt, des réponses convaincantes et surtout des décisions pragmatiques, pour tenter de freiner la descente vertigineuse aux abîmes, désormais confirmée par des chiffres alarmants. En effet, selon les statistiques de l’Organisation des Nations unies (ONU), le taux de pauvreté multidimensionnelle au Liban est passé de 42%, en 2019, à 82%, en 2021. L’accès régulier à un traitement de qualité devient, dès lors, rare pour une grande tranche de Libanais, ce qui constitue une atteinte grave au droit à la santé énoncée par l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

Un problème de tranches

La première problématique soulevée dans l’article précédent concerne la tarification des médicaments génériques qui, dans la nouvelle grille tarifaire, transgresse à plusieurs reprises la décision ministérielle no. 828/1 de 2013, qui impose que le prix de ces produits soit inférieur d’au moins 30% à celui de leurs princeps. Le président nouvellement élu de l’ordre des pharmaciens, Joe Salloum, rappelle que "les médicaments concernés par la décision ministérielle no.1339/1 sont répartis sur trois catégories (A1, A2 et B)". "Chacune d’entre elles est subventionnée à un taux différent, ce qui fait que deux médicaments qui avaient des prix similaires, il y a quelques mois, pourraient appartenir aujourd’hui à deux catégories différentes", constate-t-il.

Les médicaments de la catégorie A1 sont ceux dont le prix est inférieur à 5,35 dollars et qui restent subventionnés à raison de 25%. Ceux de la catégorie A2 ont le prix compris entre 5,35 et 10,7 dollars et sont subventionnés à raison de 45%. Le prix des médicaments de la catégorie B est compris entre 10,7 et 52,5 dollars. Ils restent subventionnés à raison de 65%.

Afin d’expliciter les propos de M. Salloum, on a choisi comme exemple la metformine (un antidiabétique oral) dosée à 850 mg, comme exemple. Son princeps fabriqué sous licence au Liban qui coûtait 10 127 livres libanaises en 2020 (soit approximativement 6,75 dollars à l’époque) appartient à la catégorie A2. Son générique libanais qui coûtait 6 993 livres libanaises en 2020 (soit approximativement 4,66 dollars à l’époque) appartient à la catégorie A1, alors que son générique allemand qui coûtait 9 704 livres libanaises en 2020 (soit approximativement 6,47 dollars à l’époque) appartient à la catégorie A2. Il est donc clair que le princeps et le générique allemand appartiennent à une même catégorie et devraient, par conséquent, être subventionnés à un même taux. Ainsi, en appliquant la formule du ministère de la Santé, le prix du princeps devrait logiquement être supérieur à celui du générique. Or en consultant la nouvelle grille tarifaire, il s’avère que le générique (124 000 livres libanaises) coûte 2,5 fois plus que le princeps (49 000 livres libanaises).

Lire aussi : Incohérences dans le calcul des prix des médicaments princeps et génériques (1/4)

"La subvention est à l’origine des incohérences"

Selon une source autorisée du ministère de la Santé, la nouvelle tarification ne prend pas uniquement en compte les trois catégories mentionnées dans la décision ministérielle no. 1339/1, mais établit également une différence, au sein d’une même tranche, entre les médicaments importés et ceux fabriqués localement. "La formule utilisée pour la tarification des médicaments locaux est totalement différente de celle utilisée pour la tarification des médicaments importés, explique-t-on dans les mêmes milieux. C’est la subvention partielle des médicaments qui est à l’origine de l’incohérence des prix. Le ministère est en train de revoir les listes afin de remédier à ce problème."

Selon cette même source, ces incohérences ne constituent toutefois que "2% de l’ensemble des cinq mille médicaments listés" et seront traitées au cas par cas. "À la suite de ces modifications, qui se feront dans les plus brefs délais, tout rentrera dans l’ordre", assure-t-on de même source. C’est-à-dire que les prix des génériques et des médicaments fabriqués localement redeviendront respectivement inférieurs à ceux des princeps et des médicaments importés. Une levée totale des subventions sur les médicaments des maladies chroniques sera-t-elle à l’ordre du jour au début de la nouvelle année? "Pour l’instant, on ne peut rien prédire. Tout dépend de la banque centrale", d’après cette source.

La bataille des génériques

La seconde problématique soulevée dans l’article précédent concerne le prix de certains génériques libanais qui dépasse parfois légèrement et d’autres fois largement celui des génériques importés et dans certains cas plus rares celui des princeps également importés. À cet égard, M. Salloum note que cela peut être expliqué par le fait que les industries pharmaceutiques libanaises subissent, comme tout autre établissement, les conséquences dramatiques de la crise économique et financière que traverse le pays. Il est à rappeler que, suite à son élection à la tête de l’ordre des pharmaciens, M. Salloum a participé, conjointement avec la présidente du syndicat des industries pharmaceutiques, Carole Abi Karam, à une conférence de presse au cours de laquelle ils ont, tous deux, annoncé leur soutien aux génériques libanais pour subvenir aux besoins de la population libanaise durant la pénurie et la flambée des prix des médicaments importés. Les génériques libanais sont, toutefois, soit totalement absents du marché local soit distribués en des quantités infinitésimales. Le premier article de cette enquête avait alors soulevé la question de l’exportation de ces médicaments vers d’autres marchés. Une question qui reste sans réponse. Ici Beyrouth a, en effet, essayé à plusieurs reprises de contacter Carole Abi Karam. En vain. Selon une autre source autorisée du ministère de la Santé, les "princeps et les génériques chers se verront naturellement écartés du marché". Du coup, la totalité des médicaments actuels ne sera plus disponible, juge-t-on de même source. Toutefois, "il y aura toujours d’autres génériques moins chers qui pourront les remplacer".

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