La femme de 60 ans a été libérée sous caution d’élection de domicile.

Au Liban, les tentatives de museler les voix dissidentes se poursuivent. La dernière en date remonte à mardi matin. Élise Moukarzel, sexagénaire et mère de famille, a été appelée à se présenter, à 11h, au bureau d’investigation des Forces de sécurité intérieure de Baabda. Jusqu’au moment où elle s’est présentée devant les enquêteurs, les raisons de sa convocation n’étaient toujours pas claires pour elle.

" Suis-je convoquée parce que je hisse le drapeau libanais et réclame le rétablissement de la souveraineté de mon pays? Ou parce que je revendique un État fort et libre de ses décisions? Que reproche-t-on à une citoyenne de 60 ans? ", se demande Mme Moukarzel, jointe par Ici Beyrouth.

Un sit-in de solidarité avec elle a été organisé simultanément devant le palais de justice de Baabda. " Élise est innocente ", " zéro peur ", " Iran dehors ", " peuple, armée, justice "… crient les manifestants.

Ce n’est que vers midi que les raisons de la convocation sont enfin connues. Il s’agit d’une suite qui est donnée à la plainte déposée en décembre dernier par Rida Mortada, membre du rassemblement des avocats du Hezbollah, contre Farès Souhaid, ancien secrétaire général du 14 Mars, " et toute autre personne pointée du doigt par l’enquête " devant le parquet près la Cour d’appel du Mont-Liban pour " agression contre un avocat dans l’exercice de ses fonctions ", " incitation à la discorde sectaire ", " diffamation " et " atteinte au sentiment religieux ". Cette plainte avait été déposée contre M. Souhaid après une altercation verbale mineure entre des supporters de M. Souhaid et une manifestante proche du Hezbollah, devant le palais de justice de Baabda, où l’ancien député devait être entendu à la suite d’une première plainte en diffamation déposée contre lui, en novembre dernier, par le Hezbollah.

Élise Moukarzel figurait au nombre des participants à ce rassemblement. Toutefois, elle avait quitté tôt les lieux pour pouvoir se rendre à son travail. " Après son départ, des femmes sympathisantes du Hezbollah avaient insulté les manifestants, raconte à Ici Beyrouth un témoin. De son côté, Me Mortada avait, à sa sortie du palais de justice, accusé les opposants au parti chiite d’être des agents des ambassades occidentales. Les propos de l’avocat avaient été repris par les médias présents sur les lieux. " Selon le même témoin, une plainte a été aussi déposée par un groupe de protestataires contre l’avocat du parti pro-iranien.

" L’interrogatoire s’est déroulé de manière respectueuse ", confie Mme Moukarzel à sa sortie, soulignant qu’elle a été libérée sous caution d’élection de domicile. " Je suis la seule à avoir été convoquée, alors que je n’étais pas présente sur les lieux lors de l’altercation. "

Dénonçant " la prise en otage du pays par l’Iran et par sa milice ", Mme Moukarzel s’insurge: " Le Hezbollah bloque le travail du gouvernement pour arrêter l’investigation en cours sur la double explosion au port de Beyrouth. Les accusés convoqués refusent de comparaître devant la justice. On n’interpelle que des activistes. "

Sa convocation est " une atteinte à la liberté d’expression ", affirme à Ici Beyrouth Me Majd Harb. " Élise assure qu’elle n’était pas sur les lieux au moment de l’altercation présumée. En essayant de s’immiscer dans les affaires de la justice, on tente de terroriser les gens et de les intimider. Nous ne manquerons jamais de soutenir toute personne injustement poursuivie " en justice.

Un autre avocat, Me Élie Mahfoud voit dans cette convocation un " comportement infâme ". " La reddition des comptes ne saura tarder. Elle sera conduite par le peuple qui finira par gagner. "

La convocation d’Élise Moukarzel a suscité une vague de contestations sur les réseaux sociaux. Un hashtag en arabe " Nous sommes tous Élise ", a été lancé.