L’UPT ou l’Université pour tous, sans exception, au sein de l’Université Saint-Joseph, est un modèle d’éducation inclusive grâce à la formation universitaire qu’elle propose aux jeunes à besoins spécifiques.

Dans un hôtel dans les faubourgs de Beyrouth, Alceste s’affaire en cuisine. Un tablier autour de la taille, une charlotte sur les cheveux, elle lave et coupe des courgettes et des aubergines. À l’étage, Charbel change les parures des lits dans les chambres. Il a gardé son manteau de marque. Tous les deux sont jeunes. Tous les deux présentent des besoins spécifiques et sont  diplômés d’une formation inclusive qu’assure l’Université pour tous (UPT) depuis plus de trois ans.

Alceste est guillerette, prolixe à souhait, ne cache pas sa joie de travailler auprès de chef Bob, comme elle se plaît à l’appeler. Elle se hâte de montrer ce qu’elle a appris comme commis de cuisine en s’appliquant à la tâche. Charbel, plus posé, mais tout aussi souriant, est fier de présenter son travail dans les chambres à ses camarades, en visite d’observation, puisque pour lui " rien n’est difficile ". Un grand chemin parcouru par ces deux jeunes pour se forger une place dans cet hôtel, qui s’est montré disposé à les accueillir, et subséquemment dans la société.

Ce parcours n’aurait pas pu se faire sans la formation inclusive dispensée à l’UPT. Celle-ci est de deux ans, explique Claudine Moubarak, coordinatrice de la formation. La première est théorique et comprend des stages d’initiation et d’observation, avec quatre grands modules axés sur l’hôtellerie, la restauration, l’horticulture et arts et medium. Ce dernier module " est venu s’ajouter aux autres métiers afin de répondre à des attentes ", insiste M. Bejjani. " Le but de la formation est l’insertion professionnelle, mais aussi et surtout l’insertion sociale ", ajoute-t-il.

Aux modules métiers, s’ajoutent des modules mineurs axés sur le développement personnel et l’autonomie pour gérer le quotidien. Durant la seconde année, quatre grands stages de quatre mois sont mis en place. Les jeunes sont orientés en fonction de leurs intérêts et de leur points forts.

Un droit fondamental

L’idée de créer cette formation inclusive a germé il y a plus de trois ans au sein de l’association Include. Elle a été portée par sa présidente à l’époque, Michèle Kosermelli Asmar, qui avait sollicité le directeur de l’UPT, Gérard Bejjani, afin de la lui présenter. Michèle Asmar, elle-même maman d’un enfant souffrant de handicap, s’est battue pour que les jeunes et moins jeunes, qui se trouvent dans la même situation que son fils, puissent bénéficier de ce droit fondamental qu’est l’éducation, dans un cadre éducatif existant.

Séduit par ce projet, Gérard Bejjani, a saisi la balle au bond sans prendre la mesure des difficultés auxquelles il allait faire face dans la mise en œuvre. C’était quand même le coup de départ d’une aventure qui s’est consolidée année après année, faisant fi des défis rencontrés.

Cette formation n’aurait pas pu voir le jour sans l’implication, le volontarisme et la détermination de tous les acteurs (Include, les parents, l’Université Saint-Joseph, les orthopédagogues, psychologues, assistantes sociales…), ainsi que les partenaires dans différents métiers, qu’il a fallu convaincre et qui ont travaillé en symbiose au profit de cette cause. Réunir ces compétences multisectorielles figure également parmi la série de défis rencontrés.

Le programme de cette formation inclusive a été mis en place par Include grâce à l’apport des orthopédagogues qui ont travaillé en coordination avec leurs homologues à Toulouse sur les besoins, la finalité, la mise en œuvre, l’évaluation et l’ajustement du projet. La première année s’est avérée concluante avec 12 étudiants inscrits et diplômés au terme de la seconde année de formation, en 2021. " Le coup d’essai s’est avéré être un coup de maître ", affirme non sans fierté Gérard Bejjani, qui s’est retrouvé de plus en plus engagé dans cette voie. Et il y a de quoi l’être.

Une formation institutionnalisée

Le tour de force était de réussir à intégrer cette formation dans l’enseignement supérieur, en d’autres termes à intégrer la logique de ce programme dans la logique des programmes de l’UPT. La formation est devenue institutionnalisée, les étudiants disposant d’une carte estudiantine et sont titulaires d’un diplôme universitaire de l’USJ. Tout a été mis en œuvre pour favoriser la scolarisation et répondre aux besoins des étudiants en situation de handicap, à travers de projets personnalisés, rythmés par des réunions entre parents et équipe pédagogique, ainsi que par des évaluations périodiques. " Certes la formation est collective au départ, mais elle reste individualisée et adaptée au niveau de chacun, d’où la richesse de ce programme qui permet l’intégration de chaque étudiant en fonction de ses capacités et non en fonction des obstacles rencontrés ", souligne Michèle Kosremelli Asmar.

L’UPT est allée au-delà des préjugés, des obstacles financiers balayés grâce à des bourses mises en place pour financer la formation inclusive (bourse Jacqueline Assha en l’occurrence), des handicaps physiques et intellectuels, pour permettre à ces jeunes de rompre avec l’isolement. Mais aussi de se doter d’un leitmotiv, d’un objectif à atteindre au réveil avec enthousiasme et fierté pour avancer pas à pas vers un épanouissement personnel et professionnel.

Au-delà des acquis en terme de savoir-faire, la formation permet de développer des compétences en matière de savoir-être et de savoir-devenir, y compris l’ouverture à la différence. " L’hygiène est un volet qui a été traité, à titre d’exemple, avec le concours de la Faculté de médecine dentaire de l’USJ, précise Mme Asmar. De même, le Centre professionnel de médiation a été mis à contribution pour travailler sur le volet communication et gestion des conflits. La Banque libano-française a sensibilisé ces jeunes sur des questions financières, telles que la gestion d’un budget ou encore l’utilisation de moyens de paiement, le tout s’inscrivant en faveur de leur autonomisation. "

Une aubaine pour les parents

Cette formation inclusive est une aubaine pour de nombreux parents qui avaient épuisé les possibilités et se retrouvaient confrontés à deux choix : soit leur enfant allait rester à l’école rien que pour socialiser ou dans l’une des rares institutions spécialisées pour handicap, soit ils devaient œuvrer pour l’inclusion. Au départ, les parents ont fait preuve de réticence. Certains appréhendaient une projection de leur enfant dans un environnement nouveau qui pourrait le déstabiliser. D’autres exigeaient du " sur mesure ". Il n’en reste pas moins qu’ils ont tous constaté des changements perceptibles chez leurs enfants dès la première semaine, certes à des degrés différents. En cause:  l’hétérogénéité parmi ces jeunes qui n’avancent pas tous au même rythme, en raison du décalage entre les facultés cognitives et motrices, la parole, la lecture.

Les changements perçus englobent " la personnalité, l’attitude et le comportement avec des progrès notables en termes de qualité de sommeil, de motivation, de socialisation, avance Mme Asmar. Sans compter la fierté d’être productif, notamment dans le cadre des stages. "

Dans un pays comme le Liban, où rien n’est acquis, même l’éducation, cette formation a le mérite d’exister, malgré tout, dans un système éducatif exsangue. Ces jeunes méritent " que les acteurs concernés, ONG et institutions, se mettent autour d’une table afin de travailler collectivement, surmonter les obstacles et avancer ensemble au service d’une jeunesse ", certes différente, mais qui a beaucoup à apprendre et surtout à apporter en termes d’acceptation de la différence, insiste Mme Asmar. Cela est d’autant plus important dans une société discriminante, qui a besoin d’une grande dose d’empathie, de sensibilisation et d’ouverture. Dans l’espoir que cette initiative fera un effet boule de neige et qu’elle sera portée à l’échelle nationale.

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