En ces temps où le pays nous échappe chaque jour un peu plus, il y a comme une urgence de retourner vers nos fondamentaux, retrouver nos nécessaires, se reconnecter à nos monuments, vestiges, richesses, fiertés nationales… en deux mots récupérer notre territoire.

C’est durant le mois de février, il y a 114 ans, en 1908 donc, que la statue de la Vierge de Harissa est dressée sur son socle. Du haut de ses 30 mètres, Marie pouvait donc dès lors veiller sur un peuple très religieux et trop souvent soumis à rude épreuve.

C’est en 1854 que le pape Pie IX avait défini le dogme de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie pour l’Église catholique. En 1904, pour fêter comme il se doit le cinquantième anniversaire de ce décret, le père Lucien Cattin, alors supérieur des jésuites au Levant, proposa de dresser un sanctuaire digne de ce nom, quelque part sur une des montagnes du Liban. Le délégué apostolique, Mgr Charles Duval, et le patriarche maronite Élias Hoyek applaudissent à l’idée: "un ouvrage témoin de la reconnaissance et de l’amour du pays envers sa reine".

Donnant sur la mer et sur les plaines dans le Kesrouan historiquement maronite, le choix du village de Harissa, perché sur quelque 600 mètres et déjà connu pour son escarpement vertigineux, d’où son nom qui signifie en phénicien bout coupant, ses forêts centenaires et ses nombreux couvents et églises, s’impose naturellement. Les travaux peuvent commencer sur-le-champ, et simultanément en France et au Liban. C’est à Lyon dans les fonderies Durenne que la statue, qui mesurera 8 mètres et demi et qui représente la Vierge telle qu’elle est apparue à Catherine Labouré, sera confectionnée en fonte. Le socle en pierre sur lequel elle reposera s’élèvera sur plus de 20 mètres de hauteur et aura 60 mètres de pourtour.

En 1906, la statue arrive par bateau en plusieurs morceaux qui totalisent 15 tonnes de ferveur. Mais en raison d’écueils financiers et administratifs, il faudra attendre encore deux ans et le don d’une bienfaitrice française avant que, perchée sur la montagne de Harissa sur le lieu-dit al-Sakhra, elle ne devienne le symbole religieux le plus visité du Liban. À l’origine, elle devait contempler la baie de Jounieh, mais une erreur de calcul du socle l’a tournée vers Beyrouth, ville qui aura grandement besoin de sa protection attentive.

L’inauguration ou la bénédiction solennelle se fera le premier dimanche de mai de l’an 1908, ce qui fixera cette date comme celle de la fête de Notre-Dame du Liban et le mois de mai celui des pèlerinages venus de tout le pays. Depuis le début du siècle donc, et avec une chapelle de l’Immaculé conception érigée à ses pieds, les différentes communautés du Liban se mêlent pour quémander sa miséricorde.

Durant le mandat du président Fouad Chéhab, et alors que le Liban connaît une ère de prospérité et de tourisme intensif, il est décidé de renforcer les projets dans la région de Jounieh et l’idée d’un funiculaire est rapidement proposée. Ce téléphérique avec ses cabines colorées se balançant au-dessus de ce qui était une magnifique baie sera inauguré le 18 novembre 1965 et ajoutera de la couleur à ce pèlerinage vers la Vierge de Harissa qui demeure la "promenade" préférée des Libanais.

Plus tard en 1970, une basilique monumentale construite par l’architecte Pierre el-Khoury et pouvant contenir plus de 3.500 personnes viendra s’ajouter à ce lieu de pèlerinage qui ne désemplit jamais et qui n’oubliera pas la visite du pape Jean-Paul II en 1997, venu apporter un peu d’espoir à ces dizaines de milliers de personnes réunies là et qui scandaient d’une même voix "Liberté, Liberté".

Lieu de tous les fantasmes, religieux ou autres, la statue imperturbable, monument le plus photographié du Liban, est devenue plus qu’un symbole. Notre-Dame du Liban, de tout le Liban, de tous les Libanais aussi, au point même qu’en Ohio, des émigrés de chez nous ont érigé une réplique de Notre-Dame de Harissa pour se sentir un peu moins loin et pour lui chanter peut-être le chant de l’émigré: Ô Dieu rends-moi au Liban pour baiser son sol, laisser caresser mes yeux par la brise de ses vallées, et m’endormir sur son herbe…

On continuera toujours à se rendre à Harissa, à pied, à genoux, pieds nus, par le sublime sentier Darb el-Sama ou la grande route, en février ou en mai, en bus ou en voiture, en famille, en solitaire ou en convoi, prier cette mère de tous, en bleu et blanc, couleurs de la mer et du Liban, qui rassure, protège, enveloppe, à qui l’on confie son âme, sa famille et à qui l’on demande pardon, attention, affection, guérison, et aujourd’hui comme souvent hier, mais peut-être encore plus fort, de sauver la nation.