Sami Nader, économiste et expert en communication, estime que les sciences humaines peuvent aider le Liban à surmonter sa crise actuelle.

Les sciences humaines ont-elles un rôle à jouer pour sortir le Liban de sa crise? Oui, estime Sami Nader, économiste et expert en communication, soulignant que " les sciences humaines comparent, scrutent et analysent le monde à travers leurs paradigmes ", ce qui permet " aux chercheurs de le déconstruire afin de le reconstruire ".

" La science met à nu et désidéologise les discours dominants ", insiste M. Nader au cours d’une conférence organisée récemment par la faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université Saint-Joseph (USJ) sur le thème: " Les sciences humaines en 2022: une espérance nouvelle pour le Liban? "

" La science dénonce la récupération par les politiques de certains concepts-clés qui instrumentalisent les discours identitaires, comme la notion de décentralisation et de neutralité, lesquelles sont d’ailleurs fondamentales dans la Constitution libanaise ", insiste le conférencier. Il note dans ce cadre que " lorsqu’elles dénoncent les idéologies dominantes, les sciences déconstruisent pour reconstruire au service de l’humain et de la dignité humaine ". " C’est à ce niveau qu’elles peuvent contribuer à la construction du contrat social et de l’unité de l’ensemble. Il s’agit d’ailleurs de la finalité des sciences humaines ", ajoute-t-il.

Renforcer la neutralité

Sur le plan pratique, consolider le contrat social au Liban nécessite, selon Sami Nader de renforcer la neutralité qui est au centre " de la Constitution et de notre pacte national ". " Or aujourd’hui, cette notion est complètement récupérée par les forces politiques qui la politisent ", constate-t-il, faisant remarquer que " certains partis instrumentalisent ce concept comme slogan électoral, alors que d’autres le réfutent et le caricaturent traitant ceux qui soutiennent la neutralité d’isolationnistes ".

À la neutralité, vient s’ajouter la décentralisation qui est également au centre de l’accord de Taëf. " La décentralisation est un moteur de croissance économique, poursuit-il. C’est un concept qui peut rapprocher l’État du citoyen ". " Or ce concept est également récupéré par le discours identitaire ", déplore l’économiste, notant que " la décentralisation ne peut avoir lieu sans un minimum d’autonomie fiscale ". Également au cœur de Taëf, " cet accord qui a mis fin à quinze années de guerre, notamment la mise en place du Sénat, l’article 95 pour l’abolition du confessionnalisme politique et la loi électorale ", rappelle M. Nader.

Se penchant sur le concept de l’arabité qui est également nouveau, le conférencier invite à " construire sur la première vague du printemps arabe qui revendique les droits économiques et sociaux indépendamment des idéologies ".

Le rôle des universités

Par ailleurs, l’expert a souligné l’importance de la mise en place " d’un nouveau modèle économique construit sur la productivité qui investit, à titre d’exemple, dans l’énergie solaire ou la culture ". " Le Liban ne peut plus se positionner comme étant l’hôpital ou l’université du Moyen-Orient. Il faut choisir un autre avantage concurrentiel qui consiste à construire sur notre identité culturelle ", insiste-t-il.

Enfin, Sami Nader estime que les universités ont un rôle de " rempart " ou de " rampe de lancement ", et prônent des valeurs comme celles de la démocratie, la liberté et le non-recours à la violence. Il a ainsi appelé l’USJ et l’Université américaine de Beyrouth " à assumer le rôle qu’elles avaient joué pendant la période 2000-2005, qui avait alors conduit au retrait des troupes syriennes du Liban ".

Le débat était animé par Charif Majdalani, écrivain et professeur à l’USJ, qui a souligné " que la succession des désastres au Liban et dans le monde arabe est le résultat de l’oubli de l’humain, du rapport à l’autre et des sciences humaines qui mettent l’homme au cœur des grandes problématiques ".

De son côté, la doyenne de la faculté des Lettres et des Sciences humaines de l’Université Saint-Joseph, Mirna Gannagé, a estimé que " face aux malaises énormes de notre population, les sciences humaines peuvent apporter des éclairages en proposant de nouvelles perspectives à creuser pour que notre société puisse se reconstruire dans un monde meilleur ".