Premier marché mondial de Captagon, l’Arabie saoudite fait face à un nombre croissant de consommateurs, dont beaucoup sont dépendants. Un phénomène de société qui contraste avec l’image encore très conservatrice renvoyée par le royaume.

 40% des Saoudiens souffrant d’une dépendance à la drogue consomment du Captagon, selon Abdullah al-Sharif, secrétaire général du Comité national de contrôle des drogues (CNCD). Une tendance corroborée par l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC): " [En 2016] les personnes suivant un traitement pour usage de stimulants de type amphétamine constituent […] la part la plus élevée des patients traités pour abus de drogues dans le pays ". Ce phénomène contraste avec le conservatisme de la société, dont les normes et valeurs sont profondément ancrées dans la religion islamique. Et pourtant. Entre 2015 et 2019 plus de la moitié de tout le captagon saisi au Moyen-Orient se trouvait en Arabie saoudite, d’après l’ONUDC.

" Le Captagon est petit. Mes camarades de classe et moi l’aimons plus que le haschisch. […] Nous pouvons acheter des comprimés. […] Les personnes âgées ont un statut social et des familles. Elles peuvent tout perdre si elles prennent des amphétamines. Mais les jeunes n’ont pas cette peur ", explique un étudiant saoudien interviewé dans le cadre d’une étude sur la consommation de drogues en Arabie saoudite. Selon le CNCD, la majorité des consommateurs de drogue et donc des dépendants aurait entre 12 et 22 ans. D’après les données gouvernementales, 15% des Saoudiens ont entre 15 et 24 ans. Il existe donc un nombre important de consommateurs et un taux d’addiction élevé au sein de la population.

Une aubaine pour les trafiquants. À noter que nombre d’entre eux ont recours à ce type d’activité pour des raisons financières, alors que le pays est en proie à de fortes inégalités économiques. Au premier trimestre 2021, le taux de chômage s’élevait à 11,7% de la population active, selon les données de l’Autorité générale des statistiques du royaume saoudien. Pour beaucoup de dealers  vendre de la drogue est donc un moyen de subsistance, malgré les risques de peine de mort. Mais comme l’explique un jeune saoudien: " La wasta (réseau personnel) joue un rôle important dans la société saoudienne, les trafiquants et dealers saoudiens l’utilisant régulièrement pour s’en sortir. Si vous regardez les médias, vous verrez que la majorité des dealers et trafiquants exécutés sont des étrangers [qui ne disposent pas d’un tel réseau, NDLR] ".

L’Occident et le conservatisme, tous deux pointés du doigt

Dans un article, des chercheurs saoudiens désignent l’influence croissante de l’Occident comme responsable de la consommation de drogues dans le royaume. Ils pointent du doigt une " jeunesse connectée, via Internet, aux cultures occidentales, qui favorisent la consommation de drogues et amplifient ses effets agréables ". Pour les auteurs, cela crée un fossé entre les jeunes et leurs parents plus traditionnels, et c’est " dans ce vide que surviennent probablement des problèmes de société comme la consommation de substances. " Ils dénoncent également l’assouplissement de certaines restrictions sociales (ouverture de cinémas, organisation de concerts…) à l’origine selon eux de l’affaiblissement de l’adhésion des jeunes saoudiens aux valeurs religieuses.

Mais pour d’autres chercheurs, la consommation est au contraire liée à l’absence de distractions, dans un pays somme toute encore très conservateur: " la vie saoudienne semble ennuyeuse pour les jeunes, car l’Arabie pratique la charia qui impose de nombreux codes de comportement spécifiques aux adeptes, tels que l’interdiction de l’alcool, du tabac, de la musique, de la danse, etc. Par conséquent, certains comportements déviants tels que la consommation de drogue sont développés pour tuer l’ennui et rechercher le plaisir ou la sensation ". Ils voient en l’assoupissement des restrictions un moyen de diminuer la dépendance à la drogue et non un facteur de consommation, d’autant plus que ce problème est antérieur à la mise en place des réformes sociales.

Le stress lié aux études, au travail, aux discriminations ou au mariage est également pointé du doigt comme facteur important de consommation. Une étude parue dans la Revue médicale  saoudienne en 2015 et réalisée sur près de 1000 habitants de Riyad, montre que 68,2% des sujets se sentent souvent stressés et nerveux. Les raisons liées à la consommation, si elles sont multiples reposent donc directement sur des facteurs sociétaux, auxquels s’ajoute le manque de clarté de l’islam quant à la consommation de drogues. De son côté, Riyad s’attèle davantage à endiguer les symptômes de la crise via notamment le biais de pressions diplomatiques. En avril dernier, elle avait annoncé un embargo sur les produits agricoles libanais, après avoir retrouvé plus de 5,3 millions de comprimés de Captagon dans des fruits en provenance du pays du Cèdre.

 

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