Un an et demi après le 4 août 2020, Beyrouth porte toujours les stigmates de la double explosion qui a endommagé plusieurs quartiers de la ville, dont celui d’Achrafieh. À l’inaction de l’État, s’ajoute parfois d’autres considérations, strictement immobilières. Reportage.

La maison, entourée d’immeubles modernes, semble d’un autre temps. Située au bord de la route Charles Malek à Achrafieh, cette ancienne bâtisse traditionnelle a été sérieusement endommagée par l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth. Tuiles rouges du toit arrachées, fenêtres soufflées, façade lézardée,… les moindres recoins témoignent de la violence de cette catastrophe. Des planches recouvrent les ouvertures laissées par l’absence de baies vitrées. Une bâche, déplacée par la récente tempête, couvre à peine le toit.

Au premier étage de la maison habite Aïda Haddad depuis 65 ans. Cette femme a vécu la majorité de sa vie à Paris. Elle passe aujourd’hui la totalité de son temps à Beyrouth aux côtés de sa tante, âgée de 93 ans.

Quand on lui demande pourquoi son appartement n’a pas bénéficié de travaux, Aïda soupire: " Une association avait commencé à réparer les dégâts, mais le propriétaire l’a arrêtée ". C’était en septembre 2020. Une deuxième ONG tente de relancer le chantier quelques mois plus tard, en vain. Pour la locataire, la situation est claire: " J’ai l’impression que le propriétaire souhaite vendre le terrain ". Une loi votée après l’explosion interdit jusqu’en 2023, la vente des anciennes maisons qui avaient été endommagées.

Le propriétaire n’a pas souhaité répondre aux questions d’Ici Beyrouth. Celui-ci aurait racheté les lieux il y a cinq ans, et serait aujourd’hui en procès contre les héritiers du détenteur précédent. Ce qui explique d’ailleurs que les locataires ne paient plus de loyers depuis des années.

Un intérieur délabré

Conséquence de cette situation, l’appartement de Aïda Haddad est toujours aussi endommagé. " Après l’explosion, nous étions pratiquement à la rue ", se souvient-elle. Dans le salon, les fenêtres n’ont pas encore été remplacées, rendant l’hiver éprouvant. Les trous au plafond laissent visibles des poutres en attente de peinture. Dans l’une des chambres, devenue de facto un débarras, du verre brisé jonche toujours le sol, comme si le temps avait été suspendu. Seule la toiture a été refaite, par les habitants eux-mêmes.

Dans cet appartement devenu insalubre, n’aspire pas à rester éternellement: " Je ne pense pas que nous resterons très longtemps ". Son unique raison de ne pas déménager tient à sa tante, qui préfère vivre à Beyrouth. " Personnellement, je peux partir sans regret ", conclut-elle, comme usée par un lieu qui la fait trop souffrir.