En ces temps où le pays nous échappe chaque jour un peu plus, il y a comme une urgence de retourner vers nos fondamentaux, de retrouver nos nécessaires, de se reconnecter avec nos monuments, vestiges, richesses, fiertés nationales… en deux mots récupérer notre territoire. 

C’est en février 1973 que le Liban a adhéré à la grande famille francophone. Mais cette date n’est finalement qu’une date tant la France et le Liban sont de vieux compagnons de route, ayant fait ensemble un long bout de chemin pavé d’histoire et d’histoires. Il faut absolument secouer le mythe par lequel la langue française semble s’être imposée au Liban avec l’avènement du mandat français. Le français a pris sa place bien avant, grâce à la venue de missions religieuses et a perpétué la tradition bilingue et même trilingue du pays. Peu à peu, le français est devenu bien plus qu’une langue, un art de vivre et de s’exprimer, un outil de révolte et de dénonciation également. Le mouvement s’accélère à partir de 1842.

" Les Libanais ont un amour pour la langue française que beaucoup d’entre eux parlent avec une élégance bien rare chez les étrangers. " Maurice Barrès, 1914

C’est en février aussi, en 1963 très exactement, que les 965 rues de Beyrouth ont reçu enfin une appellation et parmi ces noms, çà et là et au hasard de l’histoire ou du bon vouloir des fonctionnaires, des noms étranges et étrangers avec une large part réservée aux noms français.

Même si ces dernières années, le choix d’une certaine politique a fait que l’on a volontairement et minutieusement envoyé à la trappe des noms de rues à consonance occidentale, les orientalistes, militaires, poètes et diverses personnalités françaises n’en finissent pas de se sentir à l’aise dans les divers quartiers de la capitale. Pas question par exemple d’empêcher le général de Gaulle d’avoir cette magnifique vue sur la mer, ni le maréchal Foch de vivre au rythme du cœur de la ville. Mais en marge de ces rues et avenues aux réminiscences du bon vieux temps de notre bonne mère la France, que sont donc devenues les rues Trabaud et Georges-Picot ? Et la rue Verdun qui a donné son nom à tout un quartier ?

Mais même si un décret plus qu’officiel les a débaptisées et que sur papier elles répondent à d’autres appellations en raison d’autres impératifs, le cœur, l’habitude et les affinités ne nous empêcheront pas de continuer à aller " rue Trabaud " et à " Verdun ". Beyrouth, ville définitivement aussi rebelle que ses habitants.

Face à une mer qui étire les rêves des uns et les désillusions des autres, une côte qui a vu débarquer des occupants qui parlaient diverses langues et divers langages, un centre-ville dont les artères battent au rythme du cœur de la ville. Les rues sont chics, élégantes, parées de neuf et s’appelleront Foch, Weygand ou Picot.

Le consul général François-Georges-Picot est investi dans ses fonctions de Haut-commissaire en Palestine-Syrie depuis le 9 avril 1917. Ancien consul de France à Beyrouth, il a participé aux négociations de 1916. Le 25 avril 1914, il est nommé consul général de France à Beyrouth. Il participe avec sir Mark Sykes à délimiter l’étendue des zones d’influence française et britannique dans l’Asie arabe. Le 16 mai 1916, ils signent au nom de la Grande-Bretagne et de la France le traité qui portera leur nom. Il s’établit de façon permanente à Beyrouth en janvier 1919.

Plus loin, le quartier de Saïfi accueillera, dans la chaleur amicale de ses universités les rues Gouraud, Huvelin, Victor Hugo et Monot. Si Paul Huvelin était un professeur à la Faculté de Droit de Lyon qui a rédigé en 1919 un rapport intitulé " Que vaut la Syrie ? ", conclusion d’une enquête exhaustive mise en place par la Chambre de commerce de Marseille, le père jésuite Ambroise Monnot a grandement contribué à l’installation de l’Université rue Huvelin. Simple erreur administrative ou volonté de faire plus court ou plus simple, toujours est-il que Monot s’écrit aujourd’hui aussi bien avec un N ou deux N. Autrement dit Monot, mono N est entré dans les mœurs libanaises. Désolé père Ambroise, nous n’allons pas corriger cette erreur de l’histoire tant elle reflète bien cette légèreté propre à nous de s’impliquer sans s’approfondir, de s’enthousiasmer sans s’attarder et de rendre fervent hommage et puis d’oublier.

Plus à l’Ouest, c’est dans Ras Beyrouth qu’apparemment les Français se sont plu le plus. Tout de suite, les grands noms… L’Avenue de Paris qui donne envie de chanter, celle du général de Gaulle qui a également une rue en son nom secteur Sin el-Fil, ensuite Clemenceau… Sans oublier les femmes, avec Mme Curie et Jeanne D’Arc.

La rue Lebret tient son nom du père Louis Lebret (1897-1966), fondateur d’Économie et Humanisme et de l’Irfed (Institut de recherche, de formation et du développement harmonisé). Appelé par le gouvernement du Sud (au Liban comme au Vietnam), il jouera le rôle de conseiller en développement. La mission s’attellera à la mise en place d’une stratégie d’aménagement territorial, une série de réformes administratives et modernisera les modalités de l’action publique au Liban.

La rue Louis Massignon nous rappelle que, spécialiste du monde arabo-musulman, celui que l’on appelait " le dernier des orientalistes " n’a cessé, jusqu’à sa mort en 1962, d’analyser les relations Orient-Occident. Atypique tant dans sa vie que dans ses visions, intellectuel engagé dans les batailles de la région du Moyen-Orient, Massignon a joué un rôle certain dans la politique extérieure de la France.

La rue Bernadotte à Mousseitbé doit certainement se référer au comte Folk Bernadotte, médiateur des Nations unies en Palestine, alors que le quartier de Medawar peut s’enorgueillir d’abriter le plus romantique des orientalistes, Alphonse de Lamartine, qui a entretenu avec le Liban une relation plus que passionnelle, à la limite du mysticisme. Il arrive à Beyrouth le 6 septembre 1832 et il est rapidement transporté par la beauté des paysages. Il apprécie surtout les montagnes libanaises et s’exclame éperdu d’admiration: " J’avais rêvé Eden, je puis dire que je l’ai vu ". Il passera sept mois au Liban et espère par ce voyage guérir sa fille Julia atteinte de tuberculose. Malheureusement, la petite fille âgée de 11 ans ne tarde pas à mourir et c’est un Lamartine exalté par la douleur qui exprimera ses émotions dans son célèbre ouvrage " Souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un voyage en Orient ".

À Medawar également, la rue Pasteur, un Pasteur qui n’est plus à présenter. Dans Minet el-Hosn, et si vous regardez bien, vous trouverez une rue France mais aussi une avenue France. Plus loin, la rue Chateaubriand vient nous rappeler que, de son voyage " de Paris à Jérusalem ", le célèbre écrivain gardera une fascination certaine pour l’Orient et citera à plusieurs reprises le Liban et surtout les Cèdres dans ses œuvres. Chateaubriand plantera même un spécimen dans le parc de la Vallée-aux-Loups.

Au port, les marins chantent au rythme de la rue Marseillaise, alors qu’à Zokak el-Blatt se cache une rue qui porte le nom d’un grand ami du Liban, Maurice Barrès. Le parlementaire fut chargé en 1914 d’une enquête sur les missions catholiques au Liban. Il en résulte un livre passionné qui contribua à renforcer l’idée que la France avait là-bas une mission civilisatrice à remplir. Durant son séjour, séduit par les paysages et les légendes libanaises, Barrès qui dira du Liban qu’il est " une terre de souvenirs et pleine de semence " tentera de retrouver les traces de Renan et écrira un roman.

À Mazraa enfin, la rue Sarloutte nous incite à nous souvenir d’Ernest Sarloutte, mort à Bhannès en 1944 et qui a passé toute sa vie sacerdotale au collège de Antoura dont il est devenu le supérieur en 1911 et pour plus de 33 ans. Il s’est consacré toute sa vie à sa fonction d’éducateur, tâche qu’il a poursuivie avec tout l’amour et tout l’humanisme dont il était capable. Le 28 mai 1950, un monument à sa mémoire a été érigé.

Des rues donc qui résistent encore et qui nous rappellent ce qu’a dit Léopold Sédar Senghor: " La francophonie est une culture qui exprime un ensemble de valeurs humaines, qui constituent un socle commun à des peuples qui s’expriment en français. "

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