La flambée du prix du pétrole sur le marché mondial, comme conséquence de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, a eu, comme il fallait s’y attendre, un impact direct et rapide sur l’approvisionnement du Liban en carburants. Le problème se fait plus particulièrement ressentir au niveau du prix du mazout, et donc de la distribution du courant par les générateurs de quartier.

Les (nouvelles) difficultés auxquelles est confrontée aujourd’hui la population se posent en termes de montant des factures à payer – qui ne cesse de croître – et du rationnement du courant, qui se fait de plus en plus drastique, s’ajoutant à une distribution déjà capricieuse assurée de manière très parcimonieuse par l’État.

Force est de relever dans ce cadre que les heures d’alimentation assurées par les propriétaires des générateurs ne sont pas les mêmes dans toutes les régions. Elles suivent cependant, globalement, la même logique : assurer le courant le matin pendant une heure ou une heure et demie pour permettre aux employés, aux ouvriers et aux enfants de faire leur toilette, puis en cours de matinée pendant une heure, pour maintenir la fraîcheur des frigos, et enfin de 16 heures jusqu’à minuit pour couvrir la fin de la journée.

Les griefs des bénéficiaires

Mais cela ne semble pas satisfaire les bénéficiaires, notamment les gérants des petites entreprises, comme l’ont souligné plusieurs commerçants interrogés par Ici Beyrouth lors d’une tournée dans plusieurs souks.

M. William Moukarzel, qui dirige la société " Wasselni taxi ", à Baabda, expose à Ici Beyrouth les difficultés rencontrées par les petits commerces. " Nous avons installé un compteur pour l’électricité assurée par le générateur privé depuis que le ministre de l’Économie l’a imposé, a-t-il souligné. Nous payons conformément au compteur mais un rationnement important est quand même pratiqué. Nous éprouvons de grosses difficultés sur ce plan. Les magasins voisins sont fermés faute de courant. Nous utilisons un UPS (alimentation statique sans coupure), mais souvent, même l’UPS ne peut pas être rechargé ".

Et de poursuivre : " Nos revenus ne suffisent plus pour couvrir toutes nos dépenses croissantes, notamment les frais de carburants, d’électricité, d’Internet. Nous avons licencié de nombreux employés… Et si la situation empire davantage, nous allons arrêter notre abonnement au générateur ".

Dans la région de Baabda, un commerçant risque de fermer son établissement du fait du rationnement et des factures élevées. Ce père de famille envisage dans ce cadre de vendre uniquement des produits non réfrigérés pour subvenir aux besoins de son foyer.

Ce climat morose est évidemment perceptible au niveau des abonnés aux générateurs de quartier. Dans la région de Bleybel, à titre d’exemple, une mère de famille et enseignante qui continue de percevoir son salaire en monnaie locale, déplore avoir payé récemment 1 million 700 mille livres libanaises pour le courant assuré par le générateur, ce qui équivaut à un peu plus que la moitié de son salaire. " Bientôt, mon traitement ne suffira plus à notre survie, affirme-t-elle. Je dois assurer la nourriture à mes enfants, les médicaments, le transport… Je suis en déficit. Le comble aujourd’hui c’est que les prix des carburants sont désormais affectés par la crise russo-ukrainienne… Je préfère perdre mon travail plutôt que de payer l’essence pour m’y rendre ".

Pour sa part, une sexagénaire dépeint à sa manière la situation. " Si j’ai besoin de passer aux toilettes la nuit, j’ai souvent peur de tomber ", relève-t-elle en indiquant des bleus sur sa jambe et ses bras. " Il y a un mois, j’ai trébuché dans le noir. J’ai été transportée à l’hôpital, ajoute-t-elle. L’important est que le réfrigérateur reste branché. La nourriture est souvent pourrie. La situation est intolérable. On n’a même pas d’eau chaude pour prendre le bain… Le courant de l’État est fourni un jour sur deux, à raison d’une heure l’avant-midi ou d’une heure l’après-midi… C’est la misère ", conclut-elle.

Appel urgent au gouvernement

Par ailleurs, contacté par Ici Beyrouth, M. Abdo Saadé, président du syndicat des propriétaires des générateurs électriques, estime de son côté qu’en raison de la crise qui ne cesse de s’aggraver, les propriétaires des générateurs se trouveront bientôt dans l’incapacité d’assurer le courant électrique aux abonnés. Il lance à ce propos un appel urgent au gouvernement lui demandant d’agir rapidement pour assurer le mazout et de le subventionner, d’autant que son prix ne cesse de s’élever de façon fulgurante, notamment avec l’évolution de la guerre en Ukraine.

M. Saadé déplore à cet égard que les compagnies pétrolières ne livrent pas le mazout en quantités suffisantes et souligne dans ce contexte : " Il faudrait fixer le prix du mazout en livre libanaise et le subventionner afin que nous puissions toujours assurer le courant électrique. Les citoyens sont incapables de régler les factures. Aussi, faut-il que les tarifs soient justes. Les propriétaires des générateurs ne sont pas responsables de la tarification. C’est le ministre de l’Énergie qui établit le tableau mensuel des tarifs. Les propriétaires s’y conforment. Le coût du Kilowattheure (KWH) fluctue selon le coût instable du mazout, fixé en dollar ".

M. Saadé estime que le rationnement a un avantage puisqu’il allège les factures. Certains abonnés ont notamment réduit leur alimentation de 10 à 5 ampères ou de 5 à 3 ampères.

Sonnette d’alarme  

Exprimant les difficultés auxquelles font face les propriétaires de générateurs, Elie Baaklini, qui fournit le courant à des quartiers de Hadeth, déplore l’impact de l’augmentation du prix du mazout. " Le prix de la tonne de mazout est passé de 800 $ à 1090 $. Au début de la semaine, j’ai fait le plein à 1090 dollars la tonne, et l’on nous promet encore une plus grande augmentation. D’ailleurs, on ne nous livre pas la quantité que l’on doit avoir pour assurer le mazout nécessaire à la consommation. Nous demandons 3 tonnes, nous recevons 1 tonne ou 1 tonne et demie, jamais 2 ".

Même son de cloche de la part de Sami Berri, propriétaire d’un générateur d’électricité à Furn el Chebbak, qui explique que " jour après jour, les compagnies pétrolières réduisent les quantités qu’elles nous livrent ". Il déplore le fait que l’État n’indique pas franchement vers où " nous allons ". " Nous ne savons pas si les compagnies ont du mazout, dans quelles quantités et pour combien de temps. Personne ne peut le préciser. Pourquoi maintient-on ce sujet dans l’ombre ? Nous, nous ne savons pas ".

Et Sami Berri de tirer dans ce cadre la sonnette d’alarme: " Nous allons bientôt affronter un gros problème. Le peuple libanais nous demande tous les jours combien de temps nous pouvons encore tenir. À notre tour, nous demandons aux responsables de nous indiquer avec franchise où nous en sommes au niveau de l’approvisionnement en mazout et combien de temps peut-on résister ? ".