Malgré un déclin, le français reste une langue largement enseignée et utilisée à Tripoli. Reportage à l’occasion du Mois de la francophonie.

"Je fais partie d’une génération qui a vu une chute libre du français", affirme d’emblée Misbah Ahdab, ancien député et habitant de Tripoli. Comparé à d’autres villes, le recul du français est, en effet, particulièrement marqué à Tripoli, capitale du Liban-Nord. En conséquence, elle hérite généralement d’une image peu francophone alors qu’elle était historiquement la capitale de la francophonie.

La première raison de ce recul reste la prépondérance de l’anglais. Les nouvelles générations se tournent aujourd’hui automatiquement vers cette langue, dont la maîtrise est essentielle pour intégrer le marché du travail. Beaucoup de jeunes estiment que le français est une langue difficile, porteuse d’un héritage d’un autre temps et réservée à une élite sociale et culturelle. "Un jeune m’a interpellé et m’a dit: vous avez 57 ans, donc vous êtes francophone, raconte Élias Khlat, habitant du quartier de Mina. Comme si c’était une mauvaise chose." Une anecdote qui montre à quel point les jeunes se détournent de la francophonie.

Une centralisation autour de Beyrouth
Pour Élias Khlat, ce recul est également lié à une centralisation autour de Beyrouth des initiatives mises en place pour soutenir la francophonie. Tripoli reste une périphérie dans de nombreux esprits. Pour ce Tripolitain, l’enseignement public manque également de moyens afin de former les enseignants au français et attirer davantage d’étudiants et de parents.

Malgré cette tendance, Tripoli reste la première région en termes d’apprentissage du français. Selon Emmanuel Khoury, directeur de l’Institut français de cette ville, 83% des établissements enseignent dans des programmes francophones. Cependant, ce chiffre ne se traduit pas par une pratique quotidienne du français. Un écart qui s’explique notamment par des raisons culturelles et la prépondérance de l’anglais. "Je n’ai qu’à regarder devant moi et je ne vois que l’anglais sur les panneaux publicitaires", regrette ainsi un jeune Tripolitain du quartier de Mina.

La crise réconcilie les jeunes avec le français

Cet écart paradoxal est aujourd’hui remis en cause par la crise que traverse le Liban. Norma Issa Arab, enseignante de français à l’Université de technologie et de sciences appliquées libano-française (ULF), constate en fait une nouvelle approche du français chez ses élèves. De la langue de leur parent, elle est devenue un outil précieux pour décrocher un diplôme et trouver un emploi. Même si cette vision n’est pas partagée par tous, il existe un sursaut au sein de la jeunesse libanaise, avide d’apprendre à nouveau le français. "C’est lié à quelque chose de l’ordre de la survie", remarque Emmanuel Khoury.

"Si on pouvait me donner des sessions gratuites dans mon village, j’assisterais à tous les cours. Je regrette d’avoir raté tant de cours quand j’étais à l’école officielle", affirme quant à lui un élève de l’ULF, originaire du Akkar. Les jeunes souhaitent devenir francophones car ils sont conscients des opportunités professionnelles qui en découlent. Cependant, la situation économique rend difficile, voire impossible l’apprentissage du français dans certains foyers. D’autant plus que le système privé jouit généralement d’une meilleure qualité d’enseignement.

Il est également nécessaire de relativiser ce sursaut, car le français en tant qu’héritage culturel n’est aujourd’hui plus une priorité pour les jeunes générations faisant face à des difficultés financières. Malgré tout, "les Tripolitains portent la francophonie dans leur cœur", conclut Norma Issa Arab.