Témoignage d’une jeune femme:

Mes collègues de travail ne cessent de porter plainte contre moi. Ces plaintes concernent la façon dont je travaille, cela me gâche mon existence et me démoralise continuellement. Mon superviseur me rencontre pour m’expliquer les plaintes concernant les tâches accomplies durant mon travail. Mes erreurs sont rapportées à mon superviseur à mon insu. Je dois me justifier à toutes les rencontres avec mon superviseur qui se terminent par une rencontre avec la plaignante. Finalement, on s’explique et la plaignante convient que c’est un malentendu… Mais le même processus recommence quelques semaines plus tard! C’est en 2011 que j’ai commencé à remarquer des changements dans les comportements de plusieurs de mes collègues. Mon superviseur fait des rencontres d’employés pour expliquer ses attentes. Il rencontre les gens, discute avec eux des problèmes […]. Chaque rencontre se passe bien mais ne porte pas fruit longtemps, et ça recommence. Je suis sortie vidée de ces rencontres où je sentais que mes collègues n’étaient pas honnêtes dans leurs propos. Un an plus tard, je me suis mise à souffrir d’anxiété le matin avant d’aller au travail, de diarrhée matinale, de mal dans le cou, d’insomnie vers 4h du matin, de problèmes avec le nerf sciatique. J’ai beaucoup d’oublis durant mon travail. Je perds des choses sans me rappeler où je les ai mises. J’ai une difficulté de concentration lors de prises de décision. Je crois avoir atteint le fond du baril et je compte maintenant remonter avant de trop hypothéquer mon avenir. (Harcèlement.ca)

Ce sont deux psychanalystes, Christophe Dejours et Marie-France Hirigoyen, qui ont approfondi l’étude du harcèlement au travail en en révélant les mécanismes psychologiques à l’œuvre ainsi que les souffrances et les troubles pathologiques qu’il occasionne. À l’instar du terme de bullying désignant le harcèlement à l’école, celui de mobbing, qu’on doit à Heinz Leymann, psychologue suédois, décrit la persécution au travail. Terme très imagé puisqu’il évoque des prédateurs encerclant leur proie.

Hirigoyen considère le harcèlement au travail comme un harcèlement moral qu’elle définit ainsi: "Toute conduite abusive (geste, parole, comportement, attitude…) qui porte atteinte, par sa répétition ou sa systématisation, à la dignité ou à l’intégrité psychique ou physique d’une personne, mettant en péril l’emploi de celle-ci ou dégradant le climat de travail." Elle en relève les aspects pervers qui se manifestent par la manipulation d’autrui, l’abus de pouvoir et l’imposition d’une emprise psychologique.

H. Leymann distingue quatre phases dans le processus de harcèlement:

La première est celle de l’apparition des conflits et de leur renouvellement quotidien. Le conflit est une manifestation habituelle dans les interactions humaines. Il peut même s’avérer utile s’il donne lieu à un dialogue mettant en lumière les divergences et recherchant des solutions pour les résoudre. Lorsque l’absence d’une volonté de résolution des conflits devient patente et qu’ils dégénèrent en insinuations d’allure agressive, en remarques personnelles désobligeantes, en réparties ironiques journalières, on est dans la phase où le processus du mobbing prend de l’ampleur.

  • La deuxième phase voit la répétition et le renforcement des conduites citées accompagnées de remarques de plus en plus hostiles relatives à la fonction, au rendement, à l’incompréhension des recommandations. Les conduites discriminatoires s’intensifient, ainsi que les atteintes à la dignité. Si, à ce stade, rien n’est fait pour interrompre ce processus, si, par exemple, les supérieurs hiérarchiques n’interviennent pas alors qu’ils en ont la possibilité, si les témoins de ces persécutions restent passifs, la pression traumatique pour le sujet harcelé aura toutes les chances d’aller en augmentant. "Son équilibre psychique est peu à peu détruit, sa confiance en soi amenuisée. Les symptômes du stress apparaissent, puis l’angoisse s’installe à demeure."

À la troisième phase, la victime se sent de plus en plus isolée parmi les autres travailleurs, la rumeur de son incapacité croît, elle est rendue responsable de ce qui lui arrive. Elle est alors envahie d’un sentiment d’impuissance.

À la quatrième phase, la personne harcelée perd toute motivation, déprime, son rendement s’en ressent lourdement. Elle peut être rétrogradée, mise à l’écart, elle peut demander un arrêt maladie et, petit à petit, être conduite jusqu’à l’exclusion de son travail, avec de graves conséquences traumatiques sur sa santé psychique et physique. L’idée de suicide s’insinue dans ses pensées. "La personne, après avoir été exposée aux agressions du mobbing, à des manipulations juridiques, entre dans la phase d’exclusion où elle n’a plus guère de chances de retrouver un emploi. Ses antécédents sont lisibles d’une manière ou d’une autre dans son curriculum vitae et donnent à celui-ci une connotation négative. Il est difficile à l’intéressé de cacher les traces du traitement qui lui a été imposé et les séquelles psychiques et physiques qu’il en a gardées." (H. Leymann)