La patronne des services américains de renseignement, Avril Haines, estime que l’usage abusif du secret-défense est préjudiciable à la sécurité nationale des États-Unis, dans une lettre à des élus du Congrès rendue publique jeudi.

Le système qui aboutit à classer " secret " ou " secret-défense " une énorme quantité d’informations pose " un problème fondamentalement important " et doit être réformé, précise Mme Haines dans cette lettre datée du 5 janvier et adressée aux sénateurs Ron Wyden, un démocrate, et Jerry Moran, un républicain.

" Mon opinion est que le système actuel de classification affaiblit notre sécurité nationale " et " érode la confiance de nos citoyens dans les institutions ", ajoute-t-elle, notant que l’abus du secret-défense empêche de partager des informations vitales avec des services de renseignement alliés, avec des élus-clés et avec le public.

Mme Haines, qui chapeaute 17 services et agences de renseignement américains, répondait à des pressions des deux sénateurs pour une réforme de ce système, qui affecte le travail de centaines de milliers de fonctionnaires et de sous-traitants américains.

Pour les experts, classer un document " secret " est le choix par défaut dans de nombreux services gouvernementaux, car cela est plus facile que de chercher à savoir s’il est risqué de publier telle ou telle information.

Et les responsables politiques choisissent souvent de classer secret-défense des informations qui pourraient se révéler embarrassantes.

" Cela fait longtemps que la classification abusive de la part de Washington empêche la population de comprendre les actions du gouvernement et interfère avec les efforts pour faire rendre des comptes aux responsables ", estimait le mois dernier dans Foreign Policy une experte du sujet au Brennan Center, Elizabeth Goitein.

L’un des exemples les plus récents est l’opacité maintenue par les militaires sur la situation en Afghanistan dans la dernière année de l’intervention américaine dans le pays.

Lorsqu’il fallait évaluer l’armée afghane, " les militaires changeaient d’objectifs pour que ce soit plus facile de revendiquer un succès. Et quand ils n’ont plus pu le faire, ils ont classé les objectifs secret-défense ", soulignait en août dernier l’inspecteur général chargé par le Congrès américain de superviser l’action des États-Unis en Afghanistan, John Sopko. Quelques jours plus tard, l’armée afghane s’effondrait face à l’avancée des talibans.

Victimes civiles

Dans un autre registre, le ministre américain de la Défense Lloyd Austin a sommé les militaires de faire plus d’efforts pour éviter les victimes civiles lors de frappes aériennes, après plusieurs bavures meurtrières ayant entaché la réputation de l’armée américaine.

La protection des civils est un " impératif stratégique et moral ", a noté M. Austin dans un mémo destiné à la chaîne de commandement militaire et publié jeudi.

" Nous allons réexaminer la façon dont nous évaluons les incidents qui peuvent avoir causé des dommages aux civils, reconnaître les dommages infligés aux civils (…) et en incorporer les leçons tirées dans la préparation et l’exécution de futures opérations ", a-t-il ajouté.

Le ministre a donné trois mois au Pentagone pour lui remettre un plan d’action pour éviter au maximum les victimes civiles, puis trois mois supplémentaires pour élaborer de nouvelles instructions destinées aux opérateurs de drones et à leur chaîne de commandement.

Il a en outre décidé de créer un " centre d’excellence " pour développer de meilleurs outils capables de réduire les risques pour les civils, et de rassembler sur une base de données unique tous les incidents connus par les divers commandements de l’armée américaine dans le monde, afin d’en tirer les leçons.

Ces mesures étaient recommandées par un rapport du centre de réflexion Rand commissionné par le Pentagone à la demande du Congrès.

Remis en février 2021 au Pentagone mais rendu public jeudi, ce rapport conclut que les divers commandements de l’armée américaine ne partagent pas suffisamment les leçons tirées de leurs bavures et que le ministère américain de la Défense ne dédommage pas les familles des victimes de façon cohérente.

L’armée américaine a ainsi accordé beaucoup plus souvent des dédommagements " ex-gratia " –c’est-à-dire qu’elle accorde une compensation financière aux familles des victimes sans reconnaître sa responsabilité légale– en Afghanistan qu’en Irak, a relevé l’un des auteurs du rapport, Michael McNerney.

" Le Pentagone doit expliquer plus clairement l’objectif de ces paiements ", a-t-il déclaré à la presse. " Sont-ils là pour aider les forces américaines ou les commandants d’unités, comme certains les ont utilisés en Afghanistan, ou devraient-ils servir à reconnaître un tort et à rendre des comptes? "

Ces réformes interviennent après la publication de plusieurs enquêtes du New York Times montrant que les frappes de drones privilégiées depuis 2014 par l’armée américaine dans sa guerre contre les groupes jihadistes en Afghanistan, Irak et Syrie ont fait des milliers de victimes civiles, dont de nombreux enfants.

Le quotidien avait en outre accusé une force spéciale américaine opérant en Syrie — parfois dans le plus grand secret — d’avoir bombardé à trois reprises en mars 2019 un groupe de civils près de Baghouz, le dernier bastion du groupe État islamique (EI) en Syrie, tuant 70 personnes dont des femmes et enfants.

La bavure la plus récente de l’armée américaine s’est produite le 27 août à Kaboul, dans les derniers jours du retrait chaotique d’Afghanistan, lorsqu’une frappe de drone a tué par erreur 10 civils dont sept enfants.

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