Écoutez l’article

 

Rude mise à l’épreuve pour le Hezbollah en ces temps de guerre. Outre ses capacités militaires et logistiques fortement touchées par les frappes israéliennes contre ses positions, notamment dans la banlieue sud, mais aussi dans la Bekaa et dans le Sud, ses ressources financières semblent être aussi sur le point de s’épuiser. Mythe ou réalité?

Depuis que le conflit entre le Hezbollah et Israël a pris un tournant majeur, avec l’évolution des objectifs de guerre, l’État hébreu s’est fixé pour stratégie de démanteler le Hezbollah en affaiblissant, voire en anéantissant toutes ses composantes. Pour le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, la priorité est de faire revenir chez eux les 60.000 déplacés du nord du pays. Pour ce faire, il s’est fixé pour but ultime d’éliminer toute menace à sa sécurité.

Les défis logistiques et financiers sont donc majeurs pour le Hezbollah, dans ce contexte belliqueux. Ses infrastructures sont sous pression constante, et les besoins pour financer tant les opérations militaires que le soutien aux civils dans ses zones d’influence de plus en plus critiques. Face aux spéculations et aux rumeurs, le Hezbollah a jusqu’à présent gardé le silence officiel sur l’état de ses fonds. "Cela dit, il dispose toujours d’importantes réserves financières accumulées au fil des ans et bénéficie de son réseau de soutien global", confie à Ici Beyrouth (IB) une source bien informée.

Le Hezb pourra-t-il tenir avec des ressources financières réduites?

À la guerre en Syrie qui a coûté très cher au Hezbollah et aux sanctions internationales qui lui sont imposées, s’ajoutent aujourd’hui l’interception, par Israël, des aides iraniennes, ce qui pèse lourd sur les finances de la formation. L’Iran, lui-même sous le poids des sanctions économiques imposées par les États-Unis et d’autres pays, a vu se réduire ses capacités à soutenir financièrement ses alliés, y compris le Hezbollah.

Il convient de préciser, dans ce contexte, que Téhéran demeure le principal soutien financier du Hezbollah. Selon des sources américaines, il lui aurait transféré entre 700 millions et 1 milliard de dollars par an, avant les récentes sanctions et pressions internationales. Ces fonds sont utilisés pour financer les opérations militaires, les réseaux sociaux et les infrastructures du Hezbollah, ainsi que son influence politique au Liban.

"La dépendance à l’Iran reste cruciale pour maintenir des opérations militaires à grande échelle. Sans ces financements, il pourrait être contraint de réduire son influence ou de reconfigurer ses priorités opérationnelles", indique-t-on de même source. Toutefois, "le Hezbollah a démontré son aptitude à s’adapter à des conditions économiques difficiles. Son réseau global et ses activités économiques diversifiées lui permettent de maintenir un flux de financement minimal pour ses opérations essentielles", poursuit-on.

Les réseaux externes du Hezbollah à l’abri des Israéliens?

Au fil des ans, le Hezbollah a réussi à mettre en place des mécanismes sophistiqués pour dissimuler et déplacer ses fonds à l’échelle internationale et se prémunir contre toute menace pouvant mettre en danger ses fonds à l’interne. Il recourait donc à des sociétés-écrans, un réseau de compagnies anonymes, opérant dans divers secteurs économiques, notamment la construction, l’immobilier et les télécommunications. Ces entreprises peuvent être implantées au Liban (comme l’entreprise de télécommunications Jihad al-Bina), mais aussi dans d’autres pays, notamment en Afrique et en Amérique latine.

Par ailleurs, avec la surveillance accrue de la communauté internationale et les sanctions financières, la formation pro-iranienne aurait diversifié ses mécanismes de transfert d’argent; elle utiliserait ainsi des réseaux informels de transfert de fonds, comme le système Hawala, pouvant être facilement infiltrés.

Selon un expert interrogé par IB, le Hezbollah se serait, en outre, lancé dans la cryptomonnaie "pour contourner les sanctions et transférer des fonds à l’échelle mondiale". Or, Israël pourrait, grâce à ses moyens technologiques, démasquer les mouvements hezbollahis de cryptomonnaie, les signaler et geler les transactions suspectes.

Que reste-t-il d’Al-Qard al-Hassan?

Les récentes attaques israéliennes contre plusieurs bâtiments d’Al-Qard al-Hassan (AQAH), dans la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah, mais aussi dans des régions de la Békaa et du sud du pays, ont soulevé de nombreuses interrogations sur la sécurité des fonds détenus par le réseau AQAH. Surtout après la disparition présumée de montants significatifs (sous forme d’espèces ou d’actifs numériques) et de quantités d’or considérables, comme le signalent des rapports non confirmés.

Il convient de préciser, à cet égard, que la banque milicienne dispose de 31 branches réparties comme suit: 15 à Beyrouth (Bir el-Abed, Haret Hreik, Noueiri, Hay el-Sellom, Bourj al-Barajné, Tahwitat al-Ghadir, Chiyah, Roueiss, Zoukak el-Blat, Choueifate, Mcharrafiyé, Hadath, sur la route de l’aéroport); 10 dans le Sud (Tyr – 2 branches –, Nabatiyé – 2 branches –, Saida, Akabiyé, Bint Jbeil, Chahabiyé, Houmine el-Fawqa, Kfar Kila); et 6 dans la Békaa (Baalbeck – 2 branches –, Bednayel, Hermel, Machghara, Ali al-Nahri). Des régions qui ont toutes été la cible de frappes israéliennes, depuis le début de la guerre en octobre 2023. IB a essayé de contacter ces branches ainsi que le directeur général d’AQAH, Adel Mansour, et son assistante, sans succès.

Souvent décrite comme le bras financier du Hezbollah, l’institution joue un rôle clé dans le soutien économique et social de la communauté chiite au Liban. Si elle se présente comme une organisation à but non lucratif, spécialisée dans l’octroi de microcrédits aux familles à faibles revenus et dans la gestion de fonds de solidarité, elle est accusée par plusieurs acteurs internationaux d’être une couverture pour le financement des activités militaires du Hezbollah.

Exacerbée par l’opacité de l’organisation et la complexité de ses structures financières, la question de la disparition de l’argent d’AQAH a donc fait l’objet de maintes spéculations. Certains experts suggèrent que les fonds auraient été déplacés juste avant les frappes israéliennes, soit à l’intérieur du Liban, soit vers des comptes à l’étranger, notamment via des réseaux informels de transfert de fonds comme le système Hawala, largement utilisé dans le monde chiite pour des raisons de discrétion et de rapidité. "Pour démanteler les opérations de ce système, les Israéliens devront, s’ils ne l’ont pas encore fait, infiltrer le réseau", souligne-t-on de source sécuritaire.

D’autres observateurs affirment que des millions de dollars en liquide auraient été perdus ou détruits dans les explosions. "Si AQAH détient une partie de ses actifs sous forme d’espèces, la destruction de ses infrastructures physiques pourrait avoir entraîné la perte d’une part non négligeable de ces fonds", poursuit-on.

À cela s’ajoutent des allégations selon lesquelles des éléments internes auraient profité du chaos engendré par les bombardements pour détourner une partie des fonds. "Il est difficile de vérifier ces allégations, mais la perte de contrôle physique sur certaines installations financières dans un contexte de guerre augmente les risques de malversations", ajoute-t-on de même source.

"Al-Qard al-Hassan est l’une de ces grandes institutions, importantes, solides, enviées et menacées", déclarait le 22 septembre 2023, l’ancien secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui a péri, un an plus tard, soit le 27 septembre dernier dans une attaque israélienne contre le quartier général de la formation. "Le Hezb a toujours été conscient des dangers qui guettent l’association. Pensez-vous réellement qu’il y cacherait son argent?", signale-t-on de source sûre. Il est donc probable que l’organisation ait pris des mesures pour protéger ses actifs financiers en anticipation d’attaques israéliennes, comme cela a été le cas dans des contextes de guerre précédents.

Si les ressources du Hezbollah venaient à se tarir ou à disparaître, l’impact serait profond, non seulement sur le Hezbollah lui-même, mais aussi sur les Libanais qui dépendent de ces structures.