Écoutez l’article

Le programme ArtEvolution, projet du Goethe-Institut Libanon, en est à sa troisième édition et ouvre ses portes à une série de sessions "Impulse II", qui font suite à "Impulse I",  à Saïda, les 14 et 15 juillet 2023 au théâtre Ishbilia. Le but? Explorer à travers le thème "Les arts de la scène: revendiquer les espaces, les voix et les liens communautaires", la valeur sociopolitique et l’impact de la présence des arts du spectacle dans les espaces publics.

Élaborant le choix des sujets des sessions "Impulse I", relatives au programme ArtEvolution, Lynn Modallal, commissaire d’exposition et galeriste basée à Beyrouth, affirme: "Tous ces sujets convergent vers l’idée fondamentale de permettre aux artistes et aux individus de s’exprimer librement, que ce soit sur scène, dans la société ou en ligne. Ils soulignent l’importance de préserver un environnement où la diversité des voix et des idées peut s’épanouir sans craindre la répression."

Marie-Mathilde Gannat-Jaber – Crédit photo : Elie Bekhazi

Quant à Marie-Mathilde Gannat-Jaber, comanager d’ArtEvolution, elle explique: "Notre parti pris a été d’avoir un jury composé exclusivement de femmes, afin de mettre en avant leurs parcours et d’inspirer ainsi les plus jeunes. Concernant la sélection des artistes, les critères sont multiples. Certains sont pragmatiques, tels que la possibilité pour les artistes de participer pleinement au programme intense d’ArtEvolution et la faisabilité de leur performance d’un point de vue artistique, technique et budgétaire afin de pouvoir la présenter au public à partir du mois d’octobre 2023. Les autres critères sont liés aux qualités artistiques du projet, telles que son originalité et sa cohérence, mais aussi et surtout sa pertinence à proposer une lecture critique de la situation actuelle et à dialoguer avec les préoccupations de la société civile au Liban." Elle insiste sur le fait de "soutenir des artistes engagés dont le travail reflète des questionnements sociétaux."

À la question de savoir si le théâtre peut révolutionner le monde, elle répond: "Ce serait merveilleux si tel était le cas! Aussi faudrait-il que le théâtre soit accessible à tous pour pouvoir être véritablement révolutionnaire en touchant tout le monde. Le problème de l’accès au théâtre est certain, et particulièrement au Liban, où l’absence de politique publique d’envergure ainsi que le manque de financements ou de lieux pour accueillir des performances à travers le Liban ne rendent pas les choses faciles. Cependant de plus en plus d’initiatives voient le jour ces dernières années, et de nouveaux lieux ouvrent en dehors de Beyrouth… Et si le théâtre peut révolutionner le monde, je crois que les échanges, débats d’idées et la culture en général y participent grandement."

Dans quel but l’activisme serait-il encouragé dans les pays soutenus par les fonds attribués tels que l’Algérie, l’Égypte, l’Irak, la Jordanie, le Liban, la Mauritanie, le Maroc, le Soudan, la Tunisie et le Yemen? À cette question, Marie-Mathilde Gannat-Jaber répond: "ArtEvolution est un projet qui n’existe qu’au Liban et qui fait partie du partenariat Ta’ziz. Ta’ziz regroupe quant à lui divers projets liés à l’éducation et à la culture dans les pays mentionnés ci-dessus. La description de la région brosse le tableau d’une région en proie aux crises et aux troubles politiques et économiques. Les conditions générales et les réalités vécues sont cependant beaucoup plus complexes que ne le suggère ce stéréotype. Et cela se reflète bien dans plus de 100 projets que le Goethe-Institut, financé par le ministère fédéral des Affaires étrangères, soutient au Soudan, en Algérie, en Tunisie, au Maroc, en Libye, en Jordanie, en Irak et en Égypte depuis 2011, dans le cadre de son programme de partenariat Ta’ziz, qui promeut la prise de décision participative par le biais de projets dans les domaines de la culture et de l’éducation. Le Liban fait partie de ce partenariat avec le programme ArtEvolution créé en 2021. L’activisme au Liban est plutôt soutenu dans la mesure où de nombreux jeunes et acteurs de la société civile sont des activistes déjà très organisés. Cependant, ArtEvolution a cette force de créer des espaces de discussion et d’échange d’opinions entre les différents cercles des arts de la scène…"

Nahla & Hiba Zibaoui – ArtEvolution 2023

Hiba et Nahla Zibaoui, cofondatrices et codirectrices du théâtre Ishbilia (Ishbilia Theater and Art Hub), mettent en relief le souvenir du Théâtre flottant à Saida et l’importance de la mémoire artistique: "Le Théâtre flottant à Saida remonte aux années 1960, car il faisait partie d’un festival de printemps qui avait été lancé en 1961 par Ghalib al-Turk, le gouverneur du Sud. Se souvenir du théâtre flottant n’est pas seulement une question de nostalgie du passé ou une tentative de le romantiser. Cependant, raviver cette mémoire est une activité cruciale qui nous rappelle comment Saida et de nombreuses autres villes libanaises avaient joué un rôle significatif dans l’amélioration de la scène culturelle du Liban, de son image internationale et du rôle important que ce pays jouait dans la région avant le déclenchement de la guerre civile.

De plus, cela véhicule la possibilité d’avoir une scène culturelle décentralisée… Le Théâtre flottant et le festival de printemps avaient un grand impact socio-économique sur la communauté locale dans la ville et ses environs. Par exemple, des charpentiers construisaient des bateaux pour transporter le public de la ville à l’île. Enfin, le Liban traverse des crises complexes. Se souvenir d’une telle histoire donne à la société l’inspiration, l’espoir et la volonté d’agir… "

Instagram: @mariechristine.tayah