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Les hommes aspirent à la paix, surtout quand les guerres se prolongent et que leurs fils sont sous les drapeaux ou prisonniers de l’ennemi. Ceux-là mêmes qui appelaient à résoudre les litiges par le fer et le feu finissent par se lasser, par tempérer leurs ardeurs guerrières et par ravaler leur fierté nationale porteuse de querelles. C’est là que jouent les bons offices des tierces parties; c’est là que le Qatar, les États-Unis ou même l’Égypte interviennent pour trouver à l’usage des protagonistes des échappatoires, des faux-fuyants honorables, voire de magiques formules.

Tant que certains responsables politiques sont pris dans l’engrenage, ils ne survivent que dans la surenchère et ne peuvent se permettre de perdre la face. Ainsi, Benjamin Netanyahou, pas très rassuré quant à son avenir politique, a choisi de jouer l’implacable jusqu’au-boutiste. Lors de l’inspection d’une base aérienne effectuée le 5 novembre dernier, il avait déclaré: "Il n’y aura pas de cessez-le-feu tant que les otages ne seront pas rentrés. Il faut complètement retirer cela du vocabulaire. Nous le disons à nos ennemis et à nos amis." Or, voilà qu’en ce moment précis se déroule un échange entre détenus palestiniens et otages israéliens dans le cadre d’un arrêt temporaire des combats. Certes, il ne s’agit pas là d’un cessez-le-feu formel, mais de ce qu’on a convenu d’appeler une pause humanitaire. En voilà un faux-fuyant honorable! Le Premier ministre israélien s’est tiré d’embarras à peu de frais: il a accepté le marché sans se dédire, mais ce faisant, il a reconnu quelque part la légitimité indéniable de Hamas, et qui plus est, de sa branche militaire.

Trêve de Dieu et trêve olympique

Au Moyen Âge, l’Église catholique établissait entre suzerains féodaux des périodes de cessation des hostilités. En certains lieux et à certaines époques, les sièges épiscopaux prohibaient les combats "du mercredi soir au lundi matin", par "respect pour les jours où s’étaient accomplis les derniers mystères de la vie de Jésus-Christ". Ces autorités ecclésiastiques allaient souvent jusqu’à "neutraliser" certaines périodes liturgiques de l’année comme l’Avent ou le Carême. Tout était prétexte à civiliser les mœurs violentes des seigneurs de guerre et protéger les pauvres manants, ces civils de l’époque, de la véhémence des boutefeux.

Mais les trêves n’étaient pas exclusivement affaires de bons chrétiens pratiquant la charité. Il est dans la nature des hommes de s’accorder un répit. À la mi-temps d’un match de football, les joueurs s’arrêtent aussi bien pour reprendre haleine que pour convenir des tactiques à adopter quand l’action reprendra: c’est exactement ce que n’hésiteront pas à faire les belligérants israéliens et palestiniens dans l’intervalle de temps qu’ils se sont accordé.

Mais quittons le ballon rond pour la Grèce de l’Antiquité et faisons un aller-retour. C’est l’oracle de Delphes qui avait proclamé la première trêve olympique, à l’époque des guerres du Péloponnèse. Et, comme par hasard, c’est l’organisation palestinienne Septembre noir qui allait rompre ladite trêve en s’attaquant aux athlètes israéliens à Munich, le 5 septembre 19721.

Thomas Bach, président du Comité international olympique, plaidant à l’ONU le 21 novembre 2023 pour une trêve olympique lors des jeux de Paris 2024. Et la trêve pour les Gazaouis alors? (Photo TIMOTHY A. CLARY / AFP)

Qualifications juridiques et "trêve d’Abraham"

Les peuples se plaisent dans l’alternance: saisis d’élans patriotiques, ils peuvent se laisser entraîner dans les conflits, puis, soudain, les voilà qui aspirent aux accalmies et les voilà qui condamnent les affrontements où la soldatesque les avait entraînés.

C’est là qu’interviennent les juristes pour rassembler les morceaux et pour tirer les dirigeants politiques d’affaire! Dans un article de haute précision, le professeur Jean-Yves de Cara a observé de subtiles nuances entre ces diverses modalités de suspension des hostilités que sont l’armistice, la trêve, le cessez-le-feu et la pause2.

D’après lui, ce dernier terme n’a pas été juridiquement "retenu par les textes de loi. Il est plutôt utilisé à des fins politiques pour signifier qu’il pourrait s’agir d’une étape un peu plus durable, intermédiaire entre la trêve et le cessez-le-feu". Soit, mais ladite pause humanitaire n’en reste pas moins une discontinuation de l’engagement armé.

Et comme elle n’a pas de dénomination juridique reconnue, appelons-la "trêve d’Abraham" du nom de notre ancêtre commun et mythique. N’est-ce pas qu’elle vient de légitimer la branche armée du Hamas, celle qui a, à son actif, le raid du 7 octobre? Celle qui s’est saisie du pouvoir au détriment des dirigeants politiques confortablement installés au Qatar!3

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1- Respecter la trêve olympique!!! Comme si l’on pouvait demander au Fatah de l’époque de s’accorder un intermezzo, à titre récréatif, le temps d’un cent mètres haies!

2- Le juridisme de la pensée française s’est révélé dans toute sa splendeur à la faveur de l’emploi du terme "pause humanitaire" plutôt que de celui de "trêve" ou de "cessez-le-feu". Pas un organe de la presse parisienne qui ne se soit proposé de faire la distinction entre une définition légale et l’autre! Un engouement qui, par exemple, n’a pas été décelé dans la presse britannique.

3- Jack Khoury, Hamas Officials Abroad See Power Wane as Gazan Leaders Take Control, Haaretz, 24 novembre 2023.

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