La mort des sept humanitaires de l’ONG World Central Kitchen à Gaza dans des frappes israéliennes a représenté la tragédie de trop pour l’administration Biden, mais les États-Unis ne devraient pas, pour autant, opérer un changement majeur de politique vis-à-vis de leur allié.

L’impatience se faisait croissante depuis des semaines, face au désastre humanitaire en cours dans la bande de Gaza mais aussi face à la crainte d’une offensive terrestre majeure à Rafah, dans le sud du territoire palestinien assiégé, à laquelle les États-Unis se disent catégoriquement opposés.

En évoquant pour la première fois jeudi la possibilité de conditionner l’aide américaine à Israël à des mesures "tangibles" sur cette situation humanitaire, le président américain Joe Biden a clairement franchi un cap, au moins en paroles.

La Maison Blanche a, elle-même décrit cela comme un "point culminant" pour le président américain et un "catalyseur" pour l’appel téléphonique de jeudi avec le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, alors que les 2,4 millions d’habitants de Gaza sont menacés de famine.

Vrai "test"

Les États-Unis se sont empressés de saluer vendredi les mesures finalement annoncées par Israël comme l’ouverture "temporaire" de nouveaux points de passage à Gaza, notamment à Erez dans le nord. Le gouvernement israélien s’y opposait depuis le début de la guerre.

Le président américain a-t-il menacé de cesser la livraison d’aide militaire à Israël? Interrogé à ce sujet, Joe Biden a répondu à la presse en disant: "Je leur ai demandé de faire ce qu’ils sont en train de faire."

Son chef de la diplomatie, Antony Blinken, qui a multiplié ces derniers mois les réunions houleuses avec le gouvernement israélien, a, lui, évoqué "des développements positifs, mais le vrai test ce sont les résultats, et c’est ce que nous examinerons dans les prochains jours et prochaines semaines".

Il a, par ailleurs, salué la reconnaissance par Israël de sa "totale responsabilité" dans les frappes qui ont tué les sept travailleurs humanitaires à Gaza.

Fin février, une distribution d’aide alimentaire à Gaza ayant tourné au drame avait déjà représenté un tournant pour l’administration Biden, l’incitant à accroître sa pression sur le gouvernement israélien et à livrer par d’autres moyens des vivres, par voie aérienne ou maritime.

"L’appel de M. Netanyahou et de M. Biden montre clairement que Washington n’est plus disposé à poursuivre sa politique actuelle de soutien total sans changements rapides", écrit David Makovsky, du Washington Institute for Near East Policy.

Autre symbole de la pression exercée sur l’administration Biden est le fait que plus de trente élus démocrates de la Chambre des représentants des États-Unis ont demandé, dans une lettre vendredi, l’arrêt total des transferts d’armes à Israël.

Soutien "inébranlable"

Sans doute consciente de sa marge de manœuvre limitée, l’administration Biden s’est gardée de dire ce qui changerait si Israël n’entendait pas le message ou si les mesures annoncées s’avéraient insuffisantes, comme l’a estimé le chef de l’ONU.

Washington a réaffirmé avec force son soutien "inébranlable" à Israël, l’un des piliers de sa politique étrangère sous toutes les administrations successives, démocrates comme républicaines. D’autant plus que, comme l’a rappelé vendredi le porte-parole du Conseil de sécurité nationale John Kirby, Israël est entouré d’ennemis historiques des États-Unis, à commencer par l’Iran et le Hezbollah.

Les États-Unis apportent des milliards de dollars d’aide militaire à Israël. Et même s’ils décident de retarder ou reporter certains transferts limités, cette manne n’est pas remise en cause.

M. Biden cherchera à "donner au gouvernement de M. Netanyahou tous les moyens possibles afin d’éviter de poser des conditions aux transferts d’armes ou à d’autres formes d’aide", souligne James Ryan, sans exclure toutefois "à un moment donné, un changement de politique".

Par Léon Bruneau, AFP