Le président russe Vladimir Poutine a déclaré jeudi que les forces russes avaient " libéré " le port stratégique ukrainien de Marioupol, une affirmation jugée " contestable " par son homologue américain Joe Biden. Le président américain a annoncé jeudi une nouvelle enveloppe d’aide militaire de 800 millions de dollars à l’armée ukrainienne ainsi que 500 millions pour les dépenses administratives du gouvernement Zelensky. Washington anticipe ainsi la grande bataille de l’Est qui s’annonce longue et coûteuse et se montre déterminé à empêcher une occupation russe de l’Ukraine.

La chute définitive de Marioupol, grand port industriel sur la mer d’Azov, devenu ville-martyre et champ de ruines après bientôt deux mois de pilonnage et de siège russes, constituerait une victoire importante pour Moscou, dont l’armée a accumulé les revers depuis le début de son invasion de l’Ukraine le 24 février.Mais, malgré un nouvel appel à la reddition jeudi, les combattants ukrainiens, encore retranchés dans l’immense complexe métallurgique Azovstal et ses kilomètres de galeries souterraines, refusent de déposer les armes.
Le complexe métallurgique Azovstal à Marioupol

 

" Pas une mouche ne passe "

Vladimir Poutine a dit avoir ordonné à ses troupes de ne pas lancer d’assaut, mais de bloquer la zone " de sorte que pas une mouche ne passe ", au cours d’une réunion avec son ministre de la Défense Sergueï Choïgou montrée à la télévision russe.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky affirmait mercredi qu’il y avait encore un millier de civils, " femmes et enfants " et des " centaines de blessés " à cet endroit. Jeudi, le maire de Marioupol Vadim Boïtchenko a parlé de " 300 à 1.000 civils ".

Le ministre russe Choïgou a quant à lui donné le nombre de 2.000 combattants encore dans l’aciérie. Il n’a pas évoqué la présence de civils. Ces chiffres sont invérifiables de source indépendante.

Des évacuations au compte-gouttes

Les autorités locales redoutent que plus de 20.000 personnes ne soient mortes à Marioupol, qui comptait quelque 450.000 habitants avant la guerre, en raison des combats, mais aussi de l’absence de nourriture, d’eau et d’électricité.

Depuis des jours déjà, les Russes contrôlent une grande partie de cette ville, où il reste selon eux quelque 250.000 habitants, ayant même emmené des journalistes occidentaux sur place.

Alors que les évacuations de civils ont été, tout au long du siège, rares et périlleuses à organiser, trois bus transportant des civils sont arrivés jeudi après-midi à Zaporijia, à 200 km au nord-ouest de Marioupol.

Une longue campagne pour le Donbass
Si la bataille de Marioupol semble toucher à sa fin, celle qui a pour enjeu le contrôle de l’ensemble de la région du Donbass et une partie du sud de l’Ukraine s’annonce longue.D’un côté, la prise de Marioupol, en permettant aux Russes de faire la jonction complète entre leurs forces dans le nord de ce bassin minier et celles en provenance de Crimée, pourrait dégager des effectifs afin de renforcer leurs positions sur la ligne de front plus au nord. De l’autre, les Ukrainiens ont obtenu ces derniers jours une aide militaire plus substantielle tant des Américains que de certains de leurs alliés.

Poutine " ne réussira jamais " à occuper l’Ukraine
Joe Biden a en effet annoncé jeudi une nouvelle aide militaire de 800 millions de dollars pour aider l’armée ukrainienne à repousser les forces russes du Donbass, jurant que Vladimir Poutine " ne réussira jamais " à occuper l’Ukraine. "Nous sommes dans une période critique, où ils vont préparer le terrain pour la prochaine phase de cette guerre ", a souligné le président américain à propos de la Russie.Les Etats-Unis et leurs alliés agissent " aussi vite que possible " pour continuer à fournir à l’Ukraine " les armes dont ses forces ont besoin ", a assuré le président américain.

" Phoenix Ghost " et " Switchblade "

Le Pentagone a précisé que cette nouvelle tranche d’aide à l’Ukraine comprenait 72 obusiers Howitzer et leurs véhicules, 144.000 obus et 121 drones tueurs Phoenix Ghost.

Ces 72 Howitzer, qui s’ajouteront aux 18 obusiers du même type dont les premiers devraient arriver en Ukraine dans les prochains jours, " permettront d’équiper cinq bataillons d’artillerie pour un usage potentiel dans le Donbass ", a souligné le porte-parole du Pentagone, John Kirby.

" C’est important, à cause de la nature des combats que nous anticipons dans le Donbass, à cause du terrain, parce que c’est ouvert, parce que c’est plat, parce que cela n’est pas aussi urbanisé ", a-t-il expliqué. " Nous pensons que ce sera un multiplicateur de force " pour les Ukrainiens.

Les drones Phoenix Ghost, dont l’armée américaine vient à peine de s’équiper, s’ajoutent aux centaines de Switchblade, des petits drones " kamikazes " dont Washington a déjà commencé à équiper l’armée ukrainienne.

Le porte-parole est resté très discret sur leurs capacités. Cependant, un haut responsable du ministère américain de la Défense, a indiqué qu’ils avaient été adaptés par l’US Air Force " pour répondre à des demandes spécifiques de l’Ukraine ".

 

Des " cookies " aux couleurs américaine et ukrainienne offerts au Premier ministre ukrainien par le Pentagone

 

Les premiers armements de cette nouvelle tranche arriveront en Ukraine " d’ici la fin du week-end ", a précisé un second responsable du Pentagone ayant requis l’anonymat.Cette nouvelle tranche de 800 millions de dollars porte à plus de 4 milliards de dollars l’aide à l’Ukraine depuis le début du mandat de Joe Biden, dont 3,4 milliards depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février, a précisé le Pentagone.Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a remercié Joe Biden dans un tweet.  " Cette aide est nécessaire aujourd’hui plus que jamais! Elle sauve les vies de nos combattants, la démocratie, la liberté, et elle nous aidera à restaurer la paix ", a-t-il dit.Joe Biden a par ailleurs jugé " contestable " le contrôle par la Russie de la ville ukrainienne de Marioupol, revendiqué par Vladimir Poutine. " Il n’y a encore aucune preuve que Marioupol soit complètement perdue ", a insisté le président américain.

500 millions pour les dépenses administratives

Afin de continuer à fournir une assistance militaire à l’Ukraine, Joe Biden a indiqué qu’il allait demander des fonds supplémentaires au Congrès américain.

Les Etats-Unis ont également l’intention d’apporter une aide économique supplémentaire de 500 millions de dollars pour le gouvernement ukrainien, afin qu’il puisse payer les salaires et les retraites des fonctionnaires et continuer d’assurer des services publics.

Au chapitre des sanctions économiques, tous les navires liés à la Russie seront aussi interdits dans les ports américains, a annoncé Joe Biden.

Le premier ministre ukrainien Denys Shmyhal lors de sa réception au Pentagone par Lloyd Austin
" Le plus important, c’est l’unité des Occidentaux "

L’unité des Occidentaux envoie " un message sans ambiguïté " au président russe Vladimir Poutine, a-t-il ajouté: " Il ne réussira jamais à contrôler et à occuper toute l’Ukraine. Cela ne se produira pas ".

Joe Biden a assuré que le soutien américain se poursuivrait dans la durée et appelé les alliés à maintenir leur soutien à Kiev et continuer à faire respecter les sanctions internationales contre la Russie.  " Nous avons la capacité de le faire pendant longtemps ", a-t-il dit. " Le plus important, c’est de maintenir l’unité ".

M. Kirby a d’ailleurs annoncé que le ministre américain de la Défense Lloyd Austin présiderait la semaine prochaine sur la base américaine de Ramstein, en Allemagne, une réunion internationale sur les besoins de défense à long terme de l’Ukraine.

M. Austin " pense qu’il n’est pas trop tôt pour entamer une discussion à long terme avec les alliés et les partenaires (des Etats-Unis) sur ce à quoi la souveraineté de l’Ukraine doit ressembler à l’avenir ", a-t-il noté.

Sept milliards de dollars par mois
Sur le plan financier, l’Ukraine a besoin de 7 milliards de dollars par mois pour compenser les pertes économiques causées par la guerre menée par la Russie, a indiqué jeudi le président ukrainien Volodymyr Zelensky lors d’une intervention à une table ronde consacrée à l’aide à l’Ukraine dans le cadre des réunions du FMI et de la Banque mondiale à Washington. " Et nous aurons besoin de centaines de milliards de dollars pour la reconstruction ", a-t-il ajouté. "Malgré toutes les difficultés, notre pays continue à remplir toutes ses obligations en matière d’aides sociales, de paiements des retraites, des salaires (des fonctionnaires) (…) et tout cela coûte environ 7 milliards de dollars américains par mois pour notre budget ", a déclaré de son côté le Premier ministre Denys Shmyhal, qui assiste en personne à la table ronde.
Denys Shmyhal et Nancy Pelosi au Congrès

 

Les bombardements russes " ruinent " l’économie ukrainienne, a également déploré M. Zelensky, soulignant qu’ils n’épargnent ni les crèches, ni les écoles, ni les universités à travers le pays.

Outre un appel à une aide financière, il a aussi exhorté à " exclure immédiatement la Russie de toutes les institutions financières internationales ".Le chef d’Etat ukrainien a souligné la résilience de son peuple, citant l’exemple de la ville de Kharkiv en partie détruite par l’invasion russe. "Même durant les bombardements, Kharkiv a continué de fonctionner ", a-t-il relevé. " Comme Kristalina Georgieva (la directrice générale du FMI) l’a observé, en dépit de la situation, les habitants ont continué à planter des fleurs, à tailler les arbres et à nettoyer les rues pour maintenir leur ville en bon état ".

Sanctions russes contre Kamala Harris et Mark Zuckerberg

De son côté, Mme Georgieva, qui a de la famille en Ukraine et était visiblement très émue, a réitéré l’engagement du FMI à rester au chevet de l’Ukraine tout en notant que les envois d’argent aux familles devraient aussi affluer grâce aux Ukrainiens actuellement réfugiés à l’étranger.

Elle a aussi martelé la nécessité d’aider le gouvernement via des donations plutôt que des prêts pour éviter l’accumulation de la dette du pays.

Le conflit a jeté sur les routes de l’exil plus de cinq millions d’Ukrainiens, selon l’ONU, et déplacé plus de 7,7 millions de personnes à l’intérieur de l’Ukraine, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

En guise de contre-sanctions, Moscou a interdit jeudi d’entrée sur son territoire 29 personnalités américaines, dont Mark Zuckerberg, le patron de Meta, et la vice-présidente Kamala Harris, ainsi que 61 personnalités et journalistes canadiens.

Tirs sur toute la ligne de front

Dans le reste du Donbass et du sud de l’Ukraine, les forces russes " poursuivent leurs tirs d’artillerie sur toute la ligne de front ", selon Kiev. Avec notamment des combats dans la région d’Izioum, des " bombardements incessants " à Popasna et Roubijné, dans la région de Lougansk, et de nouvelles frappes sur Mykolaïv, sur la route d’Odessa, qui ont fait un mort et deux blessés, selon son gouverneur Vitaly Kim.

Plus au nord, deux civils ont été tués et deux blessés dans des bombardements sur la région de Kharkiv, a annoncé le gouverneur régional Oleg Sinegoubov sur sa chaîne Telegram.

Le ministère russe de la Défense a quant à lui annoncé une série de frappes aériennes des forces russes, notamment sur la zone de Mykolaïv, et que celles-ci avaient visé à l’artillerie près de 60 " centres de commandement " ukrainiens dans l’est et le sud.

" Des traces de tortures "

Si les forces russes se sont retirées de la région de Kiev fin mars, à Borodianka, une des localités proches de la capitale qu’elles ont occupée, la police de Kiev a affirmé jeudi avoir déterré neuf nouveaux corps de civils " tués par les occupants russes ", dont certaines avec " des traces de tortures ".

 

Au total, " 1.020 corps de civils ", ont été retrouvés par les autorités ukrainiennes et transportés dans des morgues pour examens, a déclaré jeudi à l’AFP la vice-Première ministre ukrainienne Olga Stefanichyna. Kiev dénonce avec les Occidentaux des " crimes de guerre " perpétrés par les Russes, une accusation formellement rejetée par la Russie.

Premiers ministres espagnol et danoise

En visite dans la capitale ukrainienne avec son homologue danoise, le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez s’est dit " choqué de voir les horreurs et les atrocités de la guerre de Poutine dans les rues de Borodianka ", après un passage dans cette localité. " Nous ne laisserons pas le peuple ukrainien seul ", a-t-il ajouté.

Pedro Sanchez a pour sa part annoncé de Kiev que Madrid allait livrer à l’Ukraine " 200 tonnes " de matériel militaire, soit le double de l’aide fournie jusqu’ici dans ce domaine par l’Espagne.

Le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez et son homologue danoise Mette Frederiksen à Borodianka (AFP)

 

Dans une autre localité au nord de Kiev, Mochtchoun, dévastée par les combats, ses habitants ne peuvent rentrer chez eux qu’après avoir signé une dérogation par laquelle ils acceptent le risque d’être tués ou blessés, en raison des mines et autres engins explosifs encore présents. "J’utilise une corde avec un crochet ", a expliqué à l’AFP Vadim Jerdetskiï, le propriétaire d’une boulangerie. " Il faut le jeter et le faire traîner par terre. Si rien n’explose, tu peux avancer de cinq mètres ".

 

 

Avec AFP