Objectifs et obstacles de la politique de défense

Le dossier conflictuel de ce qu’il est convenu d’appeler communément la "stratégie de défense" est au centre d’un vaste débat national depuis plus de quinze ans. Et pour cause: il touche directement au principal problème politique, voire géostratégique, auquel est confronté le pays depuis le début des années 2000, à savoir l’obstination du Hezbollah à maintenir son arsenal militaire, sous le couvert de "résistance". Cette question épineuse a été exposée et analysée sous ses différents angles dans le cadre des Rencontres mensuelles d’Ici Beyrouth pour le mois d’octobre.

Dirigé et modéré par le directeur de la Rédaction d’Ici Beyrouth, Michel Touma, le débat a eu lieu le 31 octobre avec comme intervenants le général Maroun Hitti, ancien directeur des Opérations et chef Plans de l’armée libanaise et ancien conseiller à la présidence du Conseil pour les affaires de défense, et le député et ancien ministre Pierre Bouassi. De nombreuses personnalités étaient présentes à cette Rencontre, dont notamment les députés Marwan Hamadé, Antoine Habchi et Melhem Riachi, les anciens députés Ahmed Fatfat, Misbah el-Ahdab, et Jean Oghassapian, l’ancien ministre May Chidiac, le général Khalil Helou, le directeur de la Banque Mondiale pour le Moyen-Orient, Jean-Christophe Carret, l’ancien ambassadeur Khalil Karam, président de la Ligue maronite, et plusieurs personnalités universitaires et directeurs d’entreprises.

D’entrée de jeu, le général Hitti a tenu à définir les concepts de "politique nationale de Sécurité et de Défense" et de "stratégie de défense", soulignant que sur le plan du principe, il revient au Conseil des ministres de définir une politique globale de défense. Il revient ensuite au ministère de la Défense de placer les jalons d’une stratégie de défense, et au commandement de l’armée de définir par la suite une stratégie militaire. Sur le plan de la sécurité nationale (interne), le ministère de l’Intérieur définit, dans le cadre de la politique globale préétablie par le Conseil des ministres, une stratégie pour la Sécurité intérieure. La Direction générale des Forces de Sécurité intérieure (FSI) met au point par la suite la stratégie des Forces de Sécurité intérieure, la Direction de la Sûreté générale la stratégie de la SG, la direction de la Défense civile la stratégie de la Défense civile et enfin la Direction de la Sûreté de l’État la stratégie de la Sûreté de l’État.

Il en résulte que ce qui est qualifié de "stratégie de Défense" ne concerne pas uniquement le volet purement militaire, mais englobe aussi, a souligné le général Hitti, "tous les aspects des activités d’une nation, qui doivent être intégrés à la Défense dans le sens le plus large du terme". Cela englobe ainsi les domaines de la santé, de l’économie, de la sécurité intérieure, de l’information etc.

Dans la pratique, le général Hitti a exposé d’une manière explicite les objectifs d’une stratégie de défense bien comprise, dont notamment "saper les acteurs non-étatiques" (qui disposent d’un arsenal militaire illégal), empêcher que les responsabilités en matière de défense nationale soient "diluées", imposer le monopole (par l’État) de la violence légitime, empêcher l’émergence en matière de défense de "zones grises" qui sont exploitées par les acteurs non-étatiques pour s’engouffrer dans le domaine de la défense.

Relevant que la loi de Défense la plus récente remonte à 1983, le général Hitti a déploré le fait que la stratégie de défense au Liban est "soumise aux calculs étroits des élites politico-sectaires concurrentes, ou pire, aux intérêts de leurs partenaires étrangers".       

Pierre Bouassi et la notion de "résistance"

Prenant à son tour la parole, le député Pierre Bouassi a abordé principalement le volet politique de la question, s’attardant sur l’obstination du Hezbollah à inclure dans les déclarations ministérielles de plusieurs gouvernements une mention sur l’attachement au triptyque "armée, peuple, résistance". Il a notamment souligné, d’emblée, qu’il ne saurait y avoir de stratégie de défense rationnelle et efficace en présence d’une faction dotée d’un arsenal militaire totalement illégal.

Le député FL s’est livré dans ce cadre à une déconstruction du triptyque défendu par le parti pro-iranien. Il a d’abord dénoncé la supercherie qui consiste à parler de "résistance", dans les déclarations ministérielles et le discours politique de certaines parties politiques. "Il n’existe pas de résistance, a lancé M. Bouassi. La résistance, c’est quelque de positif, or dans notre cas précis, ce que l’on désigne sous le terme de résistance, ce n’est autre que le Hezbollah. Donc lorsque l’on parle de résistance, il s’agit là plutôt du Hezbollah, en tant que faction armée illégale".     

Évoquant à cet égard les termes du triptyque précité, M. Bouassi a souligné que deux de ces termes ne peuvent pas être dissociés l’un de l’autre, tandis que deux autres termes doivent être obligatoirement dissociés. "Nous ne pouvons pas, effectivement, dissocier l’armée du peuple, car le commandement de l’armée est soumis à l’autorité du pouvoir exécutif, lequel tire sa légitimité du Parlement, et donc du peuple qui élit ce Parlement. Donc l’armée tire, par ricochet, sa légitimité du peuple, d’où le fait qu’ils sont effectivement associés".    

Et le député FL de poursuivre sur ce plan : "On ne peut nullement associer, par contre, l’armée au Hezbollah. Cela n’est en aucun cas concevable. D’où le Hezbollah tire-t-il sa légitimité en matière de défense? Si l’on prend en considération la situation actuelle qui sévit au Liban-Sud, le Hezbollah est engagé dans des accrochages et des escarmouches (avec l’armée israélienne). A-t-il demandé notre avis, aux députés, en tant que représentants du peuple? A-t-il même demandé l’avis de l’armée libanaise à ce propos? D’où tient-il donc sa légitimité sur ce plan" (au niveau de la défense)? Il est donc impératif de dissocier sur ce plan, l’un de l’autre, ces deux acteurs que sont l’armée et le Hezbollah".

Quid de l’Etat?

Au terme de l’exposé des deux intervenants, le débat a été ouvert avec la participation des personnalités présentes. Le député Marwan Hamadé a notamment déploré l’absence totale de l’autorité de l’État central et du Conseil des ministres. Il a rappelé succinctement les fondements politiques et constitutionnels du Liban moderne de 1920, tels que définis dans leur essence par Michel Chiha, notamment pour ce qui a trait à un partage du pouvoir entre "des minorités associées", parallèlement au Pacte de 1943, basé sur la notion de "ni Est, ni Ouest".

"Tout cela n’existe plus", a déclaré M. Hamadé qui a souligné à ce sujet, en substance, que le problème ne se situe pas tant au niveau du Hezbollah ou d’Amal, mais il est dû plutôt au fait que le Liban est soumis au bon vouloir du Guide suprême de la République islamique iranienne qui considère qu’il est doté d’un pouvoir divin.

L’ancien député Ahmed Fatfat (qui faisait partie du directoire du Courant du Futur) a abondé dans le même sens, affirmant que le problème de base auquel est confronté actuellement le Liban est l’occupation iranienne qui s’exerce par le biais du Hezbollah. M. Fatfat a souligné dans ce cadre que c’est cette occupation par proxy qui bloque toutes les tentatives de solution à différents niveaux.

 

 

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