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Ainsi, donc, le chef de la diplomatie iranienne, Hossein Amir Abdollahian, a déclaré solennellement, sans sourciller, à son arrivée jeudi soir à l’aéroport international Rafic Hariri que "nous sommes aujourd’hui à Beyrouth pour proclamer à voix haute que les peuples, les États et les gouvernements islamiques ne peuvent tolérer la poursuite des crimes de guerre perpétrés contre le peuple palestinien", et – cerise sur le gâteau – il ajoutait, sans hésitation aucune, que "la poursuite des crimes de guerre contre la Palestine entrainera une riposte de la part des autres axes". Il n’est pas très difficile de déduire qu’en parlant des "autres axes", le ministre iranien insinuait essentiellement le front du Liban-Sud, le Hezbollah étant à l’évidence la principale tête de pont des Gardiens de la révolution iranienne aux frontières d’Israël et sur les bords de la Méditerranée.

Une question fondamentale se pose à cet égard: qui a octroyé au chef de la diplomatie de Téhéran le droit de prendre des engagements guerriers d’une telle envergure au nom du peuple libanais? Sur base de quelle légitimité s’est-il arrogé le droit de décider du sort du pays du Cèdre et de déclarer qu’il se trouve à Beyrouth afin d’"annoncer haut et fort", pour reprendre ses propres termes, que si l’escalade se poursuit à Gaza, le front du Sud sera activé – car, à l’évidence, il parlait d’une manière à peine voilée du Liban?    

Certes, M. Abdollahian a quelque peu rectifié le tir vendredi matin en soulignant, à sa sortie du Grand Sérail, que le but de sa visite est de "préserver le calme au Liban". Double langage? Bien malin est celui qui pourrait lever l’incertitude sur ce plan et clarifier la véritable position de Téhéran. Des propos tenus par le ministre iranien à l’aéroport, il ressort toutefois, sans équivoque aucune, que la République islamique se pose clairement en parrain omnipotent des "peuples, États et gouvernements islamiques".

La guerre en cours à Gaza montre de fait, sans détour, que les dirigeants iraniens n’hésitent pas à combattre Israël jusqu’au dernier Palestinien, sans impliquer directement l’Iran, dans le seul but de renforcer leur position géostratégique et leur rôle sur l’échiquier régional. Pour eux, l’enjeu était clair, mais particulièrement cynique: se rappeler aux bons souvenirs des décideurs internationaux sans que l’Iran ne soit pour le moins inquiété, au prix de la vie des 1500 combattants du Hamas qui se sont infiltrés en territoire israélien et qui y ont laissé leur vie, pour les beaux yeux des idéologues de Téhéran ; au prix aussi, et surtout, de la destruction de quartiers entiers à Gaza, avec tout ce que cela implique comme épreuves endurées par la population palestinienne.

Dans le contexte de cette offensive géostratégique iranienne lancée (par proxy) le 7 octobre, il serait utile de rappeler au régime des mollahs une vérité qui ne saurait être occultée: les Libanais ont payé au cours des cinq dernières décennies un très lourd tribut du fait de la cause palestinienne; le Liban avait été classé par la Ligue arabe dans la catégorie des "pays de soutien", en opposition aux "pays de confrontation" (Egypte, Syrie, Jordanie), or il s’est retrouvé être le seul pays à subir, au détriment du bien-être de sa population, les affres du conflit israélo-arabe. De ce fait, Monsieur le ministre Abdollahian, nous soulignons haut et fort que les Libanais ne sont plus aujourd’hui en mesure d’endurer davantage d’épreuves, de consentir de nouveaux sacrifices, pour servir des intérêts stratégiques qui lui sont totalement étrangers. Priorité absolue, plus que jamais, à la refondation de la Maison libanaise, avec la participation active de toutes les composantes socio-communautaires du pays.