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Rappelons le raid du 28 décembre 1968 sur l’aéroport de Beyrouth: une unité israélienne de parachutistes avait lancé une attaque surprise et détruit treize avions des compagnies civiles libanaises.

Riposte ou représailles, les commandos de l’Armée de défense d’Israël disaient venger l’attaque d’un avion d’El Al qui, en décollant de l’aéroport d’Athènes deux jours plus tôt, avait été pris pour cible par deux membres du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Pour rappel, ce dernier avait son siège au Liban, et les deux fedayin, partis de Beyrouth, se déplaçaient avec des papiers libanais. L’État hébreu avait préalablement averti, et à plusieurs reprises, les autorités libanaises de la responsabilité qui allait leur incomber du fait d’héberger des groupes palestiniens qui nourrissaient de sombres desseins.

L’opération fut rondement menée et on ne déplora pas de pertes humaines; le communiqué israélien pouvait clamer que les commandos dépêchés par Tel-Aviv avaient pris des risques personnels pour éviter de faire des victimes parmi les civils. 

Ce qui nous attend.

Et depuis 1968, le même cas de figure

L’affaire fit grand bruit: ce fut une telle atteinte à la souveraineté libanaise et, faut-il le rappeler, elle était strictement prohibée par le droit international. Or, pour Tel-Aviv, notre pays était en faute, n’ayant pas rempli les obligations à sa charge, à savoir empêcher que des opérations hostiles ne soient lancées contre les ressortissants israéliens depuis le territoire libanais. Personne dans la sphère des juristes internationaux ne pouvait battre en brèche ou contredire cette argumentation. Un gouvernement qui ne maintient pas l’ordre dans ses rangs s’expose forcément à des mesures de rétorsion, sans qu’il ne soit pour autant entraîné dans le cycle infernal d’une guerre ouverte. Cependant, dans la presse, des critiques furent adressées à l’État hébreu, en raison du fait que les autorités libanaises n’étaient pas en mesure d’empêcher l’attentat du FPLP. Par conséquent, elles ne pouvaient être tenues pour responsables, rien ne pouvant supposer ou établir une intention malveillante de leur part.

Le débat théorique autour de cette question allait se poursuivre dans les cercles académiques*: Un pays peut-il obliger un autre à remplir ses obligations sous la menace de représailles? Pour tout vous dire, nous sommes dans ce cas de figure depuis cette date fatidique, car à partir de ce moment, les autorités libanaises n’étaient plus en mesure de remplir les obligations d’un État souverain. De son côté, Israël allait prendre le pli d’exercer des représailles sur notre sol, sinon d’entreprendre des invasions en bonne et due forme. Tant que les autorités légales libanaises n’allaient pas pouvoir mater l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), notre pays allait encourir de sanglantes ripostes. Et du moment que nos gouvernements successifs ont accordé au Hezbollah le pouvoir d’entrer en guerre, de signer des cessez-le-feu ou de délimiter les frontières maritimes, notre peuple devra vivre sous la menace et dans les périls. C’est là notre triste situation depuis la guerre des Six-Jours, le parti des ayatollahs ayant pris le relais des organisations palestiniennes.

Un spectacle familier.

Simple constat

Libanais, vous n’avez pas voix au chapitre! Et si vous voulez jouir d’un tant soit peu de reconnaissance arabe, il vous faut montrer patte blanche et renoncer, au nom de la solidarité fraternelle, à certains attributs de votre souveraineté. Libanais, la décision d’entrer en guerre ne vous appartient plus depuis la fin du mandat de Charles Hélou.

Mais atermoyer, est-ce la solution?

Le député Ghayath Yazbeck a déclaré, et à raison, que "la situation de guerre ou de paix dépend des intérêts de l’Iran". Alors, quand Joseph Borell, haut-représentant de l’Union européenne, a souligné qu’il "était impératif de prévenir l’extension de la guerre à Gaza au Liban et aux pays voisins", il aurait mieux fait d’adresser ces avertissements à qui de droit. Il aurait mieux fait de prendre le taureau par les cornes comme l’a fait – une fois n’est pas coutume – Emmanuel Macron quand il a mis "en garde le Hezbollah, le régime iranien, les houthis au Yémen et l’ensemble des factions qui menacent Israël de ne pas prendre le risque inconsidéré d’ouvrir de nouveaux fronts".

Mais ne pas prendre "de risque inconsidéré" en ce moment précis, ne signifie rien d’autre que reculer les échéances. La situation irrégulière qui prévaut ne sera pas réglée pour autant, encore moins par la voie des bons offices! Les accrochages à notre frontière sud ne sont que l’ébauche de la tourmente à venir, de même que le raid de 1968 sur l’aéroport n’avait fait que présager la violence civile où allait s’engouffrer le Liban à partir de 1975.

Youssef Mouawad
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*Michael Walzer, Just and Unjust wars, A moral argument with historical illustrations, Basic Books, 1977, pp. 219-221.